Méditation : Être-Royaume (No 128)

Évangile du Mardi 15 février 2022 – 6e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Prenez garde au levain des pharisiens et au levain d’Hérode ! » Mc 8, 14-21

En ce temps-là, les disciples avaient oublié d’emporter des pains ; ils n’avaient qu’un seul pain avec eux dans la barque. Or Jésus leur faisait cette recommandation : « Attention ! Prenez garde au levain des pharisiens et au levain d’Hérode ! » Mais ils discutaient entre eux sur ce manque de pains. Jésus s’en rend compte et leur dit : « Pourquoi discutez-vous sur ce manque de pains ? Vous ne saisissez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous avez le cœur endurci ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! Vous ne vous rappelez pas ? Quand j’ai rompu les cinq pains pour cinq mille personnes, combien avez-vous ramassé de paniers pleins de morceaux ? » Ils lui répondirent : « Douze. – Et quand j’en ai rompu sept pour quatre mille, combien avez-vous rempli de corbeilles en ramassant les morceaux ? » Ils lui répondirent : « Sept. » Il leur disait : « Vous ne comprenez pas encore ? »

Méditation

Jésus dans cet évangile vit avec douleur déjà le coeur de sa Passion qui vient. Il voit “le coeur endurci” de l’humain chez ses plus proches, les disciples. Il entre dans l’écart qu’il y a entre les gens du “dehors” et ceux du “Royaume” ou entre des étrangers marqués par le péché et des fils et filles du Royaume. Sa Passion lui apparaît de plus en plus inévitable : Il doit combler l’abîme que l’humain s’est creusé avec le Père. C’est pourquoi l’évangile d’aujourd’hui nous ouvre le Coeur souffrant du Christ. Essayons d’ailleurs de comprendre cette souffrance.

Avant même les deux multiplications des pains, Jésus avait dit à ses disciples : ” À vous le mystère du Royaume de Dieu a été donné; mais à ceux-là qui sont dehors tout arrive en paraboles, afin qu’ils aient beau regarder et ils ne voient pas, qu’ils aient beau entendre et ils ne comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné” (Mc 4, 11-12- bible de Jérusalem). Et voilà que deux multiplications des pains plus tard, Jésus constate en regard de ses disciples : “Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas !” Ses disciples demeurent des gens au dehors, des gens de paraboles. Encore une fois, avec patience, Jésus essayera de les faire passer justement de la parabole au Royaume par ces mots : “Ouvrez l’oeil (“voyez” traduira Chouraqui) et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode” (je choisis ici la traduction de la bible de Jérusalem qui me semble plus juste).

Il me semble que pour bien comprendre ce texte et saisir ces paroles de Jésus, nous devons retourner aux tentations de Jésus au désert, celles-là même qui sont les nôtres et qui feront le coeur de sa Passion. La première tentation pose la question du pain, rappelée par le texte d’aujourd’hui en ces mots : ” les disciples avaient oublié d’emporter des pains” et ” ils discutaient entre eux sur ce manque de pains”. “Mais, dira Jésus au tentateur, “ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Mt 4, 4). Toute la vie spirituelle est de passer de la parabole du pain du boulanger au Royaume du Pain de Vie de Dieu qu’est le Fils et, en creux, de saisir le mystère de la Parole de laquelle tout origine. Jésus désire que ses disciples, en tout, voient et entendent la Parole, contemplent le Fils bien aimé du Père et le Verbe de qui tout a surgi. La multiplication des pains n’est pas d’abord la multiplication de pains du boulanger mais l’ouverture de l’oeil (“ouvrez l’oeil”) et de l’oreille pour contempler la Parole qui se multiplie en tout le vivant.

Il les avertit enfin de deux levains qui se cachent dans leurs (nos) coeurs et qui les empêchent justement de voir et d’entendre. Le levain des Pharisiens touche à la deuxième tentation, celle où le démon place “l’humain sur le pinacle du temple” et dit : tire-toi en bas, car les anges de Dieu te porteront. Et Jésus de répondre “Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu” (Mt 4, 7). Cette tentation est terrible et souffrante pour Dieu. C’est pourquoi Jésus a parlé avec tant de force contre les pharisiens, et au pharisien en nous. Et la question qu’Il nous pose et pose à tous ses disciples : Gardez-vous de vous servir ou d’utiliser Dieu et sa Parole à votre profit, pour votre propre gloire ! Tant de vendeurs du spirituel et de la religion qui empêchent les personnes d’entrer dans le temple de Dieu qu’ils sont. Cette remarque nous devons la prendre pour nous.

Je peux me demander le plus sincèrement possible : Dans quelle mesure, les méditations que j’écris sont une façon de chercher ma gloire et de les détourner à mon profit ? Dans quelle mesure, j’écris en parabole plutôt qu’en Royaume de Dieu ? Que je voile plutôt que je dévoile ? Que j’empêche les gens de voir et d’entendre ? Et cela, parce que moi, je veux être au “pinacle du temple”, cherchant l’attention des humains et le pouvoir que cela communique. Ou, au contraire, “ouvrir les yeux” et laisser la Parole prendre toute la place en moi et dans les méditations. Qu’elles soient une recherche de Dieu et non un enflement de moi-même ! Garde Stéfan au levain des Pharisiens qui, si facilement et quelque fois si subtilement, se glisse en toi et t’empêche de voir et d’entendre la Parole, et fait de toi un aveugle qui conduit d’autres aveugles !

Puis, il y a le levain d’Hérode qui nous renvoie à la troisième tentation de Jésus au désert et qui nous frappe nous-mêmes. Le diable a offert à Hérode et nous offre constamment “tous les royaumes du monde avec leur gloire” et nous susurre intérieurement : “Tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage” (Mt 4, 8-9). Non seulement nous conduit-il à usurper la gloire de Dieu (2e tentation) mais nous approprier la gloire de ce monde qui appartient à Dieu. Comme pour le pain, nous regardons le monde mais nous n’y voyons plus la multiplication d’une Présence ou d’une Parole, simplement une chose dégarnie de sa réelle beauté et que nous voulons posséder pour nous-mêmes. N’est-ce pas que ce levain se répand en nous et dans le monde à une vitesse folle ! Mais Jésus nous dit : “C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte” (Mt 4, 10).

L’évangile de ce jour est une invitation pressante de Jésus de “passer sur l’Autre Rive”, de passer du “dehors” à la conscience vivante de sa Présence et de ne plus parler “paraboles” mais de “voir et d’entendre ce Dieu” qui parle en tout. Sommes-nous gens de paraboles qui “ne comprennent pas encore” ou citoyens du Royaume qui nous étonnons de Dieu en tout ? Nous attardons-nous uniquement aux apparences du monde ou au Réel de Dieu ? Saisissons que tout “est Parole”, qu’en tout se multiplie la Présence et que Dieu seul suffit et nous appelle à l’adorer et à le célébrer. Être-Royaume ou être-parabole ?

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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