Évangile du Samedi 21 janvier 2023 – 2e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Les gens de chez lui affirmaient : Il a perdu la tête » Mc 3, 20-21
En ce temps-là, Jésus revint à la maison, où de nouveau la foule se rassembla, si bien qu’il n’était même pas possible de manger. Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui, car ils affirmaient : « Il a perdu la tête. »
Méditation
L’extrait frappe, par son réalisme qui se prête avec résistance. Un Jésus « hors de sens » que ses proches doivent se saisir et maîtriser. Le même homme-Dieu dont la tendresse le rend proche des enfants, dont la paix profonde fait fondre les condamnations, dont les paroles ouvrent un horizon. Celui qui parle comme nul autre, pressé par la foule dans la maison de Simon-Pierre au point de ne pouvoir s’asseoir pour rompre le pain avec les siens. Il aurait perdu la tête!
Incapable d’accueillir cette dissonance qui cherche à gagner mon esprit, je me plonge dans mes dictionnaires. Comme si le sens écrit et décrit par la chaîne d’amoureux et d’exégèse contenait la vérité. Ek histemi, le verbe grec signifie « hors du fait de se tenir, de se maintenir, être hors de soi, déplacé, étonné ». Un coup d’œil sur la concordance nous informe que ce verbe est généralement utilisé par les évangélistes pour décrire l’étonnement des foules devant les miracles et devant ce qui défie la raison.
Après 30 ans d’une vie relativement rangée comme charpentier, fils aimant et juif pieux, Jésus fils de Joseph fils d’Héli (Lc 3.23), n’est plus le même. Ses paroles, ses gestes, ses guérisons, ses exorcismes foudroient, qui est ce Jésus ? Fils de l’Homme prophétique, Fils de Dieu blasphématoire, il dit que sa famille n’est pas la sienne et que son père, c’est Dieu. Une possible honte pour la famille, pour les frères de Jésus déjà marqués par cette filiation qui défie toute raison.
Selon la traduction littéraire de Frédéric Boyer (Évangiles, Gallimard, 2022), Jésus ne « s’appartenait plus ». Ne plus être soi, ne plus s’appartenir. Au cours de nos cheminements spirituels, au cours de l’arpentage de notre terre sacrée, vient un moment où nous nous tenons devant notre soi. Un soi immense, délabré, suranné comme une cathédrale abandonnée qui garde en son chœur un reposoir immaculé. Un soi, si petit et indigné, tout en vérité, tout en blessure, tout en échafaudages et en remparts fortifiés comme une Jeanne d’Arc âgée de 5 ans. Nous nous approprions cette enfance blessée, la consolons, elle a fait ce qu’elle pouvait. Puis Dieu emprunte notre regard, chemin d’intériorité du clocher décimé jusqu’au reposoir. Nous contemplons cette enfance comme un don, la blessure devient la chance risquée. L’enfance et la blessure repartent main dans la main quelque part à l’intérieur de la cathédrale, sans se retourner.
Nous ne sommes plus ce que nous étions tout en étant de plus en plus intériorité, un Je tissé de Dieu. Un Autre en soi, source d’émerveillement pour soi et d’étonnement pour les proches : tu as beaucoup changé entendons-nous. À mesure que le Christ devient centralité en nos existences, les appartenances se dissolvent. Seule celle au Christ, en Dieu, rend de plus en plus libre intérieurement et extérieurement en nos relations. Celles-ci ne se déclinent plus sur le mode de l’appartenance mais sur celle de la contemplation de l’autre comme don. Nous ne sommes plus à l’extérieur ou à l’intérieur de soi mais invités en Lui, en la Vie. Un alliage de densité et d’émerveillement qui ne peut appartenir ni être propriété, seulement offrande. Pour sûr, l’étonnement suscité de la transformation rimera avec la tête perdue. Se tenir hors du sens que les autres s’approprient, hors de ce moi qui m’appartenait, comme une cathédrale achetée à bon prix.
Pressé par la foule au point de ne pouvoir rompre le pain, Jésus ne s’appartient plus, il est devenu offrande pour cette foule affamée de liberté. Il est devenu communion avec le Père, il est devenu chemin eucharistique pour le don étonnant et émerveillé que nous sommes, il est devenu Saint Sacrement exposé sur nos reposoirs.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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