Méditation : Le Dieu sans place (No 112 – série 2022-2023)

Évangile du Dimanche 25 décembre 2022 – Jour de Noël – messe de la nuit (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Aujourd’hui vous est né un Sauveur » Lc 2, 1-14

En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

Méditation

Le Dieu sans place, voilà ce qui m’a touché en lisant ce texte. Mais j’étais presque gêné d’écrire sur le sujet, car, pour un temps de Noël, est-ce qu’un tel sujet renvoyait en moi à un esprit déprimé ? Je dois avouer que ce sans place touche à une blessure en moi. De fait, qui n’est pas bouleversé par ce sans place, car qui de nous a été accueilli, aimé et reconnu pleinement pour ce qu’il est ? N’y a-t-il pas en nous ce cri ou ce besoin d’exister, d’avoir sa place en ce monde ? Ce sentiment ne vient-il pas exacerbé par ce “recensement de toute la terre”, comme si nous n’étions qu’un parmi d’autres ? L’empire romain a été remplacé aujourd’hui par les empereurs de la finance et les grands du pouvoir mais ne sommes-nous pas au même point, des pions dans un grand échiquier et des gens qui existent par la place que nous avons en société ? Oui, bien déprimant tout cela.

Mais n’y a-t-il pas une beauté et une grandeur extraordinaires de voir un Dieu s’incarner au lieu même de la blessure la plus profonde de l’être humain : être sans place. Et n’en a-t-Il pas ajouté en cherchant toute sa vie à prendre “la dernière place” (Lc 14, 10). Ce soir-là, donc, à Bethléem, après que Marie et Joseph aient été recensés, se produit l’impensable, l’insoupçonné. Au coeur d’un monde où tous sont “fichés”, un Enfant surgit comme l’étranger au coeur du recensement de la terre. Celui dont le Nom est au-dessus de tout nom naît dans le sans place de nos vies. Il naît au lieu même de notre sans place, au lieu même où nous avons besoin de naître à qui nous sommes vraiment, à trouver derrière le masque de nos fausses identités la véritable valeur de notre identité et de notre humanité.

N’est-ce pas Jésus qui, à ses apôtres dira : “Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures, sinon, je vous l’aurais dit ; je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi, vous soyez” (Jn 14, 2-3)? En ce Noël, en ce sans place souffrant de nos vies, Jésus vient nous dire que nous avons une place unique dans le coeur de Dieu, un lieu que nous sommes appelés à préparer avec Lui, un lieu où nous serons “près de (Lui), afin que, là où je suis, vous aussi, vous soyez”.

Il ne s’agit donc pas d’une vague identité mais d’un “je suis” dans le “Je Suis” de Dieu, une expérience d’être dans l’Être de Dieu. Et cette expérience se vit comme un ciel au coeur de nos sans-places. C’est pourquoi l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur.» Quelle nouvelle plus joyeuse de savoir qu’un Sauveur naît dans le sans place de notre crèche pour nous permettre de naître en Dieu ! “Et voici le signe (de ce prodige) qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire”, là dans le plus intime de vous.

Jésus n’est-il pas notre “Sauveur” parce que justement Il vient naître au coeur de notre sans place, au lieu même de notre impossibilité à naître ?! En ce Noël, dans l’humilité de notre coeur et dans l’humilité de ce lieu sans place de notre blessure, accueillons ce Dieu qui nous donne de participer à sa gloire, et donc à son Amour et à sa Reconnaissance : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

En nous, joignons nos voix à cette louange de gloire de l’ange et de cette “troupe céleste innombrable”. Ne cherchons pas à la provoquer mais simplement à l’accueillir, car comme nous dit le texte, elle est appelé à monter “soudain” en nous dans la gratuité même de l’Amour et de la Reconnaissance de la naissance de cet Enfant. S’il existe bien en nous le sans place de la crèche, un lieu blessé où nous avons de la difficulté à être, à exister, à reconnaître et à aimer qui nous sommes, quelle joie alors d’y accueillir Dieu qui nous offre sa naissance pour naître d’en haut, pour naître à nouveau : Lui en nous et nous en Lui!

Quelle nuit magique que celle de Noël où, au coeur de toutes nos nuits, se lève le Jour de la Vie, de l’Amour, de la Paix… le Jour de l’Humain en Dieu et de Dieu en l’Humain ! Un même Jour porteur d’une même Gloire !

Joyeux Noël à chacun.e ! Laissez-le naître en votre sans place pour que dans son “Je suis” vous “soyez éternellement” !

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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