Méditation : L’icône de la paternité (No 105 – série 2022-2023)

Image par Gerd Altmann de Pixabay

Évangile du Dimanche 18 décembre 2022 – 4e dimanche de l’Avent (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

Jésus naîtra de Marie, accordée en mariage à Joseph, fils de David Mt 1, 18-24

Voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse.

Méditation

L’Évangile d’aujourd’hui nous présente l’Annonciation vécue par Joseph. Comme pour Marie, nous sommes face à une intervention trinitaire où le Père, le Fils et l’Esprit agissent dans cette genèse du Fils en l’humanité. Ce qui a toutefois de particulier dans ce récit est que le Père, à première vue, ne semble pas présent. Et je dis bien à première vue, car l’icône de paternité qui nous est présentée ici a un élément fort étonnant dont nous captons rarement le poids de sens, à savoir que le père dans la scène iconique est Joseph. Imaginez, le Père du ciel a choisi Joseph pour être le père de son Fils sur la terre ! Quelle folie divine !

Cette scène se déroule entre “avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint” (Chouraqui traduit “avant qu’ils se rencontrent”) et “il prit chez lui son épouse” et, plus précisément au verset 25 qui n’est pas cité ici, “et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils” (Chouraqui traduit ce verset : “il ne la pénètre pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté un fils”). Entre ces deux événements, il me semble que le texte nous donne des indices sur la paternité. Quatre mots pour moi surgissent : le déliement, l’inhabitation, l’appellation et la connaissance (ou la pénétration).

Un acte profond de la paternité est le déliement. Celui-ci renvoie dans le texte actuel au fait de “renvoyer (Chouraqui traduira par “délier”) en secret”. Nous l’avons vu dans des méditations précédentes de quelle façon l’Évangéliste Matthieu fait du secret un acte profondément paternel en parlant de prier, de jeûner et de faire l’aumône “en secret” et en décrivant à l’occasion le Père du ciel comme le “voyant du secret” (Mt 6, 4). Joseph prie donc le Père qui est dans le secret (Mt 6, 6) afin de délier Marie et le Fils. Ce rôle de la paternité est formidable, car l’Amour du Père n’est jamais une possession mais une dépossession où l’A(a)utre qui est accueilli doit avoir toute la liberté pour devenir lui-même. La paternité demande donc de libérer et Dieu et l’humain de nos emprises pour laisser la Vie surgir et, dans la mission que le Père confie à Joseph, de laisser au Père de connaître, d’aimer et d’agir par lui. Délier donc en nous et en l’autre la Vie qui veut surgir (se rappelant au passage que la paternité humaine peut être très étouffante).

C’est cet acte de déliement premier de Marie et du Fils, soit “avant qu’ils aient habité ensemble”, qui seul peut conduire au deuxième terme de cette paternité : l’inhabitation ou le “prendre chez lui Marie et l’enfant”. La notion de “songe” est ici intéressante, car Joseph comme père ne peut vivre l’expérience très charnelle d’enfanter de la mère; cela ne signifie pas toutefois, comme tout père en ce monde, d’éprouver très réellement cette naissance. De fait, le Père du ciel partage à Joseph le mystère de sa paternité. Par l’ange qui vient visiter Joseph, il le fait entrer dans le mystère de la genèse de Jésus qui est un mystère d’abord trinitaire où se vit la naissance éternelle du Fils par le Père dans l’Esprit. Dans ce songe, Joseph éprouve donc cette genèse et, en cette gratuité de grâce étonnante, le rôle qui lui est accordé dans cette genèse.

Comme Joseph, nous sommes appelés chacun.e à prendre Marie et l’Enfant en nous pour que, au nom du Père, nous puissions donner au Fils de s’incarner en ce monde, au Père de communiquer son Amour paternel et à l’Esprit la Vie divine. Dans cette Annonciation de Joseph, un pécheur comme nous, le Père demande de devenir “‘maison de Dieu”. Bien sur, un tel appel nous demande de chérir et de protéger Dieu en nous de même que cette humanité nouvelle en Jésus mais le Père nous donne la tâche aussi de “l’appellation”. Un des rôles du père est d’aider Marie, l’Enfant Jésus et toute personne que Dieu met sur notre route à découvrir le nom unique que chacun.e porte, parole de Dieu unique dans l’Unique Parole qu’est le Fils. “Nommer” n’est pas simplement d’attribuer un nom mais de participer à l’acte d’engendrement du Fils par le Père. C’est une réelle communication de la vie du Père au Fils dans l’intime de notre humanité. C’est un acte de coengendrement avec le Père.

Cet acte nous conduit au dernier terme de la paternité das ce texte, à savoir la connaissance ou le co-naître. Quand Chouraqui traduit le verset 25 non-cité ici par “il ne la pénètre pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté un fils”, nous sommes pris d’un malaise devant un terme si sexuel et face à Marie qui est Vierge. Mais s’il y a dans un couple un acte physique de pénétration, il existe une pénétration plus vitale et profonde et dont la traduction “il ne la connut pas” nous laisse entrevoir le sens. La paternité implique, lié à l’appellation, ce mystère de pénétration mutuelle d’Ê(ê)tre. Il y a là un acte de paternité d’une profondeur vitale, à savoir d’entrer par grâce dans le mystère de Dieu qui nous habite et de nous qui habitons Dieu. En participant à cette grâce du Père, il nous est possible de nous connaître comme Dieu nous connaît et cet acte est profondément virginal, car il demande de notre part une pureté d’être et de coeur qui nous donne d’accueillir “en secret” et en in-connaissance la beauté de la révélation de l’Être en nous. Le Père nous donne ainsi de “pénétrer” dans le mystère de la Trinité, et il y a ici, avouons-le, une participation à la paternité divine beaucoup plus grande qu’une pénétration physique (et en disant cela je ne veux d’aucune façon dénigrer cette dernière, laquelle malheureusement a perdu aujourd’hui la profondeur de mystère qui la soutient).

Chacun.e de nous est appelé.e à cette paternité, comme il nous est donné de participer à la maternité divine par Marie. Méditons, par l’Évangile d’aujourd’hui, l’icône de la paternité qui nous est présentée et qui nous révèle une part du mystère humain et divin et, particulièrement, du mystère de Joseph. À quelle folie divine sommes-nous appelés !

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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