No 207 – série 2024-2025
Évangile du jeudi 17 avril – Jeudi Saint
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Méditation – La grâce des pieds nus
Petite, je raffolais de courir pieds nus, surtout sur la pelouse fraîchement coupée. Pieds nus, pieds sales dans la boue, sur l’asphalte brûlante, sur les cailloux, dans les flaques d’eau. Je tournoyais sur moi-même jusqu’à me laisser tomber sur le gazon ou dans le champ au bout de la rue. Regardant le ciel nuageux, je scrutais avidement les trouées et les traînées, je me disais que j’apercevrais peut-être Dieu; il descendrait alors pour me prendre et me serrer contre lui.
Deux mille ans de christianisme et quelques décennies plus tard, j’ai baissé le regard. J’ai mis du temps pour saisir que Dieu se contemplait dans l’abaissement : ma mère me lavant les pieds en maugréant lorsque je rentrais barbouillée. Puis maman à mon tour, penchée sur mes enfants, embrassant et lavant leurs petits pieds agités. Puis, maintenant, agenouillée devant mes parents pour les aider à se chausser. Contempler Dieu dans tout abaissement par amour, à travers l’effacement d’une mère, le service d’un enfant et l’offrande de ce Dieu en train de me laver, et le cœur et les pieds.
J’aime un Dieu laveur de pieds, un serviteur souffrant et Tout-Puissant qui s’agenouille devant ma fragilité et mes péchés. Mon Dieu, non, pas moi! J’aime un Seigneur non plus drapé dans son impassibilité céleste mais là tout près : dans un regard inconditionnel en accompagnement ou dans les remontrances de maman, un linge à la main. Je suis indigne, il accourt vers moi! Je ne le mérite pas, il se prosterne devant moi! Le jeudi saint se retrouve aux racines mêmes de toute vie : effacement, service, offrande. C’est sa manière de nous dire son nom et de nous appeler par notre nom. C’est sa manière de nous inviter à l’Amour jusqu’à se donner, jusqu’à nous servir de nourriture.
À mes pieds… cette place ne lui convient pas, mais c’est pourtant là que je l’ai contemplé la première fois. En accompagnement, arpentant ma terre sacrée mes sandales à la main, sous son regard aimant, ensemble Dieu portait patiemment mon espérance et mon accompagnatrice ma foi. Ensemble, le temps de mon consentement, le temps de mon enfantement. Ce fut dans cet abaissement que Dieu m’invita à le rejoindre, à demeurer à cet endroit avec lui, aux creux de ma nudité de nouvelle-née, au cœur de son humilité. Il lui suffit de moi pour être comblé, il lui suffit que je lui fasse cette grâce de me laver les pieds.
Inconcevable amour, grandeur de charité, humilité d’un jeudi saint… comment être à la hauteur de l’immensité d’un tel abaissement? Abaisser mon regard, encore et encore, vers les plus petits, vers la fragilité de toute vie et l’indignité pour l’apercevoir. À travers les trouées de nos conforts et de nos certitudes, à travers les traînées d’une réalité démantelée, nous pouvons le contempler. Il se tient là le Très-Bas, quand, enfin, nous nous donnons, quand nous nous livrons, quand nous nous abandonnons. Quand, enfin, nous consentons à son Amour pour être signe de son engendrement.
En ce jeudi saint, nous sommes appelés à aimer jusqu’au bout. Penchés sur un enfant naissant, à genoux devant un parent vieillissant, au pied de la croix du Crucifié, laissons-lui la grâce de se donner au cœur de nos vies. Afin que par le don de ce Dieu amoureux et crucifié, nous puissions devenir, en vérité, aussi vivants et petits qu’un enfant accourant pies nus vers son père, aussi humbles et éternels qu’un ciel aux bras grands ouverts.
Barbara Martel – bmartel@lepelerin.org

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