No 163 – série 2024-2025
Évangile du mardi 4 mars – 8e semaine du temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Vous recevrez, en ce temps déjà, le centuple, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle » (Mc 10, 28-31)
En ce temps-là, Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. Beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront les premiers. »
Méditation – L’avenir arrivera-t-il ?
Enroulé dans sa gabardine élimée, un ouvrier prend chaque matin le bus qui le conduit au travail. Dans la froidure de l’hiver comme dans la touffeur de l’été, les mêmes allers et venues creusent un sillon entre l’usine et la maison. Sa morne histoire raconte un être encadré par le regard de son fils. Le regard de l’adolescent enferme le père dans un rôle sans qu’ils ne se rencontrent. Le chanteur Daniel Guichard fait trembler, en quelques couplets, la lueur faiblarde d’une vie trop vite étiquetée :
« Dans son vieux pardessus râpé
Il s’en allait l’hiver, l’été
Dans le petit matin frileux, mon vieux. (…)
Dans son vieux pardessus râpé
Il a pris pendant des années
L’même autobus de banlieue, mon vieux.
L’soir en rentrant du boulot
Il s’asseyait sans dire un mot
Il était du genre silencieux, mon vieux. »
Une fois adulte, le fils se rend compte qu’il est passé à côté de son père sans le voir. Être à côté n’empêche pas parfois d’être éloigné.
« Dire que j’ai passé des années
A côté de lui sans le r’garder
On a à peine ouvert les yeux, nous deux.
J’aurais pu, c’était pas malin
Faire avec lui un bout d’chemin
Ça l’aurait peut-être rendu heureux, mon vieux. (…) »
« Quand on a juste quinze ans,
on n’a pas le cœur assez grand »
Comment trouver ce « cœur assez grand » pour voir l’autre ? Jésus propose de tout quitter pour Le suivre : quitter ce regard qui rétrécit, quitter cette morne rengaine qui use la vie. Quitter ce jugement dont on se croit riche…
Quand on lit dans le regard des autres l’enfermement dans nos propos blessures, comment croire en soi ? Comment changer ? Le mythe disait que Méduse, la Gorgone aux défenses de sanglier et à la chevelure de serpents, pétrifiait ceux sur lesquels son regard se posait ! Le mythe se vérifie chaque jour lorsque le regard renvoie un homme à son passé. Quand le regard des autres est ce regard lourd de la Gorgone qui fige le mouvement, comment évoluer ? comment vivre ? Comment croire en celui que l’on veut devenir ?
Les disciples de Jésus ont « tout quitté » pour suivre l’Amour. Jésus n’était pas un amour fait de mots, une morale faite de devoirs. Il était l’Amour ! Celui qui quitte son regard réprobateur, celui qui « quitte tout » engendre comme Dieu engendre, il reçoit par centuple des frères et des sœurs. Il puise dans la masse des hommes qui sombrent dans la mer pour pécher des hommes et les déposer sur la plage, libres de se relever.
Victor HUGO, dans Les Misérables, présente une âme qui a « tout quitté » pour Jésus. Mgr Bienvenu Myriel, évêque de Digne, héberge Jean Valjean récemment sorti du bagne de Toulon. Abusant de l’accueil de l’évêque, Valjean le dépouille de son argenterie avant de s’enfuir. Repris par les gendarmes, Jean Valjean est ramené devant le prélat qui prétend qu’il s’agissait d’un don. Généreusement, il offre au voleur deux chandeliers d’argent :
« — Ah ! vous voilà ! s’écria-t-il en regardant Jean Valjean. Je suis aise de vous voir. Et bien, mais ! je vous avais donné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste et dont vous pourrez bien avoir deux cents francs. Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts ? »
Ce geste de miséricorde sauve la liberté de Jean Valjean et initie la rédemption de cette âme désormais rachetée par la bonté. Avant de le quitter, Mgr Myriel murmure tout bas à l’oreille du forçat ébahi :
« — Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu. »
Mgr Myriel a quitté ses richesses et le confort de juger les hommes, il a connu la persécution du vol. Mais, il a gagné un « frère » qu’il confie à Dieu. L’amour ouvre une liberté : « L’avenir arrivera-t-il ? » (1)
Vincent REIFFSTECK. vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
- Victor HUGO, Les Misérables, tome IV, Livre 7, chap.4.
(2) Les Misérables, (tome I, Livre 2, chap.12). Hugo s’est inspiré du personnage réel Mgr Bienvenu de Miollis. En janvier 2024, Mgr Gobilliard, évêque de Digne, a ouvert le procès en béatification de Mgr de Miollis.

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