No 156 – série 2024-2025
Évangile du mardi 25 février – 7e semaine du temps ordinaire
Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions
« Le Fils de l’homme est livré. Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous » (Mc 9, 30-37)
En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.
Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Méditation – N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter ?
« Ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. » Être « le plus grand » est la hantise des cœurs apeurés. Anxieux de s’assurer une place, je me compare au voisin. Je joue des coudes pour être sûr d’être plus que mon voisin. Si mon identité fluctue au gré des appréciations des autres, ma cotte monte ou descend comme les valeurs boursières… Soumis à tous les aléas, je ne suis sûr de rien. La peur est une suspicion jetée sur ce que je suis. Comme un bouchon de liège jeté dans le courant de la rumeur, je suis ballotté et perdu. Après la description des souffrances que « le Fils de l’homme » affrontera, les disciples ont « peur ». Ils n’osent « interroger » Jésus. C’est pourquoi, dérapant dans l’imagination, ils s’inventent une illusion faite de mots et d’images mentales. Ils s’offrent le faux confort d’être « le plus grand ».
Pourtant, l’orgueil est une faiblesse. C’est une macération dans la peur, une crampe, un raidissement comme lorsqu’un muscle se crispe sous la douleur. Se raconter à soi-même que je suis le « plus grand », c’est se gonfler de mots creux. N’est-ce pas une maladie de l’âme ? Une aérophagie ? Un syndrome de malnutrition ? L’orgueil, c’est bon pour ceux qui n’ont pas la force d’être humble. Pas la force de voir simplement ce qui est vrai dans la clarté d’un regard d’enfant. La fleur ne fait pas l’effort d’être, elle est là… épanouie dans ce qu’elle offre.
Notre être est reçu de Dieu. Nous n’avons pas d’être à nous, un être dont nous serions propriétaires avec des titres sûrs, dûment enregistrés et protégés, enfermés dans un coffre-fort à l’abri de la vie. Nous vivons avec un long fleuve qui coule, où tout flotte et passe… Nous flottons avec ce fleuve. Si nos mains se referment sur une touffe d’herbe qui pousse sur la rive, ce n’est que pour un bref instant. Bien vite, le courant nous rappelle au mouvement pour aller plus loin. Nous n’avons pas d’être. Cela peut m’angoisser si je refuse le mouvement. Alors, j’ai peur… Je me raidis pour me grandir : serai-je le plus grand ? Serai-je celui qui, au milieu du fleuve, émerge de l’eau ? Nous n’avons pas d’être. Comme nous ne sommes pas propriétaires de notre être, nous capitalisons nos titres boursiers et comptons notre avoir, nos piécettes comme Harpagon, l’avare de Molière, ou nous tentons être « le plus grand » comme les disciples. Mais, nous n’avons pas d’être.
Après une filouterie qui a détourné l’or de son trésor, Harpagon, le personnage de Molière, se lamente : son être est vide, puisque sa cassette est vide ; sa vie est perdue, puisque son or est perdu. Molière rend magnifiquement l’élan vital qui s’est fourvoyé dans l’aventure de l’avarice. Seul, criant au voleur dans le jardin, Harpagon, qui cherche le trésor de sa vie, interpelle son or : « Mon esprit est troublé et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! Mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! Mon cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque tu n’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait ; je n’en puis plus. Je me meurs. Je suis mort. Je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon cher argent ? » (1)
Nous n’avons pas d’être, car notre être ne relève pas de l’avoir. Bien mieux… notre être est reçu du Père. Notre être repose en Dieu dans le sanctuaire céleste, à l’abri de la vermine qui ronge et de la rouille (Mt 6,20). Notre être est un être filial, c’est-à-dire un être qui nécessite une réception de fils. La réception émerveillée est un geste du fils. Les mains crispées se referment sur du vide… non parce que Dieu ne donnerait rien… mais parce que Dieu ne donne rien qui s’accapare, ni se possède… (Exode 16). En tant que fils, notre être divin est là… disponible dans la foi, c’est-à-dire dans l’acceptation du don. L’orgueilleux, qui creuse à mains nues la terre pour en dégager un trésor, oublie qu’il est fils. Mais, en se croyant propriétaire de la vie, ne s’épuise-t-il pas ? ne creuse-t-il pas sa tombe ? La philosophe Simone WEIL exprime cela avec un raccourci saisissant : « Être orgueilleux, c’est oublier qu’on est Dieu… » (2). Cette phrase produit un choc. Oublier que je suis fils. Oublier que le Fils me révèle ma filiation divine, n’est-ce pas cela la hantise d’être « le plus grand » ?
Comme êtres vulnérables, nous traversons des angoisses, des vexations et des souffrances. Oui, nous vivons cela et nous vivrons cela. Cette page d’évangile nous le redit : le Fils de l’homme, qui nous accompagne sur cette route, nous promet le réveil : « trois jours après sa mort, il ressuscitera ». L’expression « trois jours » nous introduit, grâce au symbole, au mystère de Dieu. Dans le langage des prophètes, « trois jours » signifie « c’est certain, Dieu interviendra ! ». Nous lisons cela chez le prophète Osée : « Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face. » (Osée 6, 2).
« N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter ? » demandait Harpagon. Oui, Harpagon, ton désir de vivre trouve un Libérateur. Il est déjà là, actif en toi qui suscite ton éveil. Le Fils de l’homme te propose un passage. Pour tendre Sa main, tu devras lâcher ton or. « Mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! » disais-tu… Oui, ton argent est « pauvre », cet or n’est pas ton « cher ami ! »
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Note :
(1) L’Avare de Molière, (acte IV, scène 7).
(2) Simone WEIL, dans La pesanteur et la grâce.

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