La sagesse a dressé une table – Méditation du mardi 5 novembre 2024

No 58 – série 2024-2025

Évangile du mardi 5 novembre 31e semaine du Temps ordinaire

Tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Va sur les routes et dans les sentiers, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison soit remplie » (Lc 14, 15-24)

En ce temps-là, au cours du repas chez un chef des pharisiens, en entendant parler Jésus, un des convives lui dit : « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » Jésus lui dit : « Un homme donnait un grand dîner, et il avait invité beaucoup de monde. À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : “Venez, tout est prêt.” Mais ils se mirent tous, unanimement, à s’excuser. Le premier lui dit : “J’ai acheté un champ, et je suis obligé d’aller le voir ; je t’en prie, excuse-moi.” Un autre dit : “J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je pars les essayer ; je t’en prie, excuse-moi.” Un troisième dit : “Je viens de me marier, et c’est pourquoi je ne peux pas venir.” De retour, le serviteur rapporta ces paroles à son maître. Alors, pris de colère, le maître de maison dit à son serviteur : “Dépêche-toi d’aller sur les places et dans les rues de la ville ; les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, amène-les ici.” Le serviteur revint lui dire : “Maître, ce que tu as ordonné est exécuté, et il reste encore de la place.” Le maître dit alors au serviteur : “Va sur les routes et dans les sentiers, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner.” »

Méditation – La sagesse a dressé une table

L’homme est fait pour le bonheur d’une vie partagée où Dieu se révèle dans ce qu’il y a de plus humain. Un convive à la table d’« un chef des pharisiens » s’exclame « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » Le Christ n’acquiesce à ce propos qu’en corrigeant ce qu’il a de restrictif : cette bénédiction n’est-elle pas le bonheur d’un homme repu satisfait de manger avec ses pairs ? Je t’invite, tu m’invites et nous nous définissons l’un par l’autre dans un miroir de jeu de politesse. Nous fabriquons notre satisfaction par la reconnaissance que nous nous renvoyons les uns les autres. Mécanisme utile, mais réducteur. Car, ces déterminismes préfabriquent notre moi social qui trouve dans nos voisins des modèles à imiter. Je pense comme « on » pense… je m’éloigne de la foule comme « on » s’éloigne de la foule… Mais, derrière ce « on » existe-t-il un « je » ?

Dans cette parabole, le Christ met en lumière l’extravagance d’une invitation de gens inconnus, trouvés le long des chemins, pour montrer que l’homme intérieur s’édifie en dépassant le déterminisme du donnant donnant. Ce qui se préfabrique en moi, je dois le donner, le dépasser. Je dois surmonter ce pauvre « moi » étriqué pour rejoindre le moi qui est au-delà, en avant. Je dois marcher à la rencontre de ce qui, en moi, est éveillé par la rencontre du Christ. Seule l’invitation reçue par Jésus me stimule à aimer plus et mieux en élargissant l’horizon du désir. Découvrir en moi une Présence divine qui me dépasse redéfinit le « moi » à partir d’un infini plus vaste que mes préfabrications psychologiques ou sociales. Mes combines, mes compromis pour claudiquer dans la prison d’un moi boiteux volent alors en éclats sous la poussée d’un moi éclairé de lumière divine. Quand l’homme intérieur devient possible, alors je me rends compte que Dieu est réel. Si l’on en reste aux préjugés que l’on récite, on doute : l’homme existe-t-il ? Ma vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Qu’un pharisien se réjouisse entouré de pharisiens… en imaginant un paradis rempli de pharisiens… ce n’est qu’une imagination limitée… C’est un instinct grégaire enrobé de mots religieux.

Mais, il arrive que dans les failles, dans les brisures, un Autre surgisse… alors une rencontre devient possible. Rencontrer en soi un Amour qui m’attendait, un Dieu qui m’espère pour devenir enfin l’inventeur d’un amour qui se donne. Luc décrit une humanité nouvelle qui se lève… Dans cette parabole, l’Église est comparée à la table de fête où tous sont invités. À l’heure où les âmes en détresse se vident, le Père invite au banquet de son amour : “Venez, tout est prêt.” Mais, les invités vont-ils quitter leurs habitudes ? Tous préfèrent leurs routines pour se mettre hors de portée de son amour : “je t’en prie, excuse-moi.” Les tracas du travail, de la terre à labourer retiennent les uns. Le troisième fonde une famille et n’a d’yeux que pour sa bien-aimée : vraiment je n’ai pas de temps à perdre avec la source de l’amour… “Je viens de me marier”, excuse-moi. Chacun aime à la mesure de son désir comme un chien attaché tourne autour son piquet. Mais, mon cœur a soif d’élargissement… Dieu est cet horizon où se dilate le désir.    

Le Père voit la grande table de son cœur abandonnée des hommes. Il éprouve la déchirure entre son amour et l’absence de réception. Il est « pris de colère » : la parabole dit (avec les émotions humaines comme la « colère ») que Dieu ne se résigne pas. En effet, le maître du banquet protège la possibilité du salut contre l’indifférence des hommes. C’est pourquoi, le Père renouvelle son offre et envoie son Fils « sur les places et dans les rues de la ville ». Dieu s’incarne pour rejoindre chaque lieu de notre vie : le champ, le travail, la vie de famille, l’usine et le laboratoire… « Les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux », ceux qui portent dans leur chair le manque d’amour sauront peut-être saisir la chance du salut.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus appliquait cette parabole à la vie communautaire : « J’ai remarqué (et c’est tout naturel) que les sœurs les plus saintes sont les plus aimées, on recherche leur conversation, on leur rend des services sans qu’elles le demandent, enfin ces âmes capables de supporter des manques d’égards, de délicatesses, se voient entourées de l’affection de toutes. » Pour sa part, Thérèse se sentait appelée à aimer les âmes estropiées : « Je dois rechercher (…), la compagnie des sœurs qui me sont le moins agréables (…). Une parole, un sourire aimable suffisent souvent pour épanouir une âme triste. » Cet élan se heurte bien vite à des rebuffades : « je sais que bientôt je serai découragée : un mot que j’aurai dit avec la meilleure intention sera peut-être interprété tout de travers. » Thérèse ne s’épuise pas à aimer avec ses faibles ressources, elle puise dans l’amour même de Dieu qui invite au banquet. Seule l’invitation de Jésus abreuve les âmes : « Aussi pour ne pas perdre mon temps, je veux être aimable avec tout le monde (et particulièrement avec les sœurs les moins aimables) pour réjouir Jésus et répondre au conseil qu’Il donne dans l’Évangile. » L’invitation semble dire : va auprès de tes frères et sœurs les plus souffrants et ouvre dans leur cœur un sourire.

Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

Note :

(1) Manuscrits autobiographiques.

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