Évangile du Mardi 11 juin – 10e Semaine du Temps Ordinaire (tiré d’AELF)
« Vous êtes le sel de la terre. » Mt 5, 13-16
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Méditation
Les mots de Jésus dans l’Évangile de ce matin nous les connaissons tellement bien! Et pourtant, ils résonnent en moi d’une manière nouvelle. Ce qui m’a touchée, c’est le même mot qui précède les deux locutions “sel de la terre, lumière du monde”: “(vous) êtes”. Le verbe “être”! Cela m’a rappelé quelque chose entendu il y a quelques mois au sujet de “la vie missionnaire”. On nous parlait d’une “mission d’être” plus que de “faire”.
“Mission d’être” … cette expression m’accompagne depuis ce jour-là. Elle est venue toucher quelque chose d’essentiel en moi, comme le “vous êtes” de Jésus cherche à toucher quelque chose d’essentiel en chacun de nous. Dieu, toujours, dirige sa Parole à ce que nous sommes, à ce qu’il y a de plus essentiel et de plus profond en nous. Quand Il parle, Il s’adresse à des êtres humains qui sont pour Lui, avant tout autre chose, des filles et des fils. Au Pèlerin d’ailleurs, nous sommes accompagné(e)s afin de découvrir de mieux en mieux notre “identité filiale” – cet “être” qui nous habite – pour pouvoir la déployer à travers notre mission unique. Notre mission à chacun sur ‘notre bout de terre’ est une “mission d’être”. Quelle bonne nouvelle!
Dans son exhortation “La joie de l’Évangile” (2013), le Pape François a utilisé cette expression étonnante: “Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans ce monde.”[1] Ce n’est pas une erreur de grammaire! Il a volontairement écrit “je suis (en italique dans le texte) une mission” et non pas “j’ai une mission sur cette terre”. Cette mission unique que je suis, que chacun est, englobe toute notre existence. Il ajoute en outre: “(La mission) n’est ni une partie de ma vie ni un ornement que je peux quitter, ni un appendice ni un moment de l’existence. Elle est quelque chose que je ne peux pas arracher de mon être si je ne veux pas me détruire.” Cette “mission d’être” est ‘une’ avec moi. Ne pas la vivre équivaut à ne pas être, à mourir à la Vie.
N’est-ce pas justement ce que Jésus tente de nous dire aujourd’hui? “Si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ?” Tu es appelé à être ce “sel unique” que tu es, là où tu es, avec les gens qui t’entourent, avec toutes les personnes que J’ai unies à ta “mission d’être”. Mais si ce sel que tu es devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Si au lieu de laisser ta saveur unique se mélanger dans tout ce que tu réalises, tu vis en cherchant à imiter l’autre ou en te comparant, le sel qui est en toi perdra peu à peu sa saveur. “Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.”
Elle est rude cette Parole. Mais ce qui l’est plus encore c’est le fait que tant de personnes au long de notre histoire, tant d’exigences acquises durant notre éducation, ont voulu nous faire croire cela. “Ta vie ne vaut pas grand chose, ta vie n’est pas assez …” Ces mots-là ont parfois littéralement “piétiné notre sel”, voulant réduire à presque rien la beauté de notre être profond.
Alors, Jésus nous redit avec force ce matin ces mots de vérité, les seuls capables de raviver en chacun sa vérité ultime: “Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.” Notre vie, telle qu’elle est, porte cette incroyable capacité de rayonner de l’intérieur ce don reçu de la Lumière. La Lumière est de Dieu, mais Lui a voulu qu’elle nous habite. Il a désiré qu’elle puisse briller pour soi et pour les autres, qu’elle ne reste pas cachée. Au plus nous apprenons à vivre libres de tout cela qui ‘tait’ et cherche à ‘étouffer’ notre identité filiale, au plus on est ‘soi’, au plus aussi notre vie donne sa pleine saveur et peut briller de mille feux.
“Dieu est, cela suffit”, ces mots d’Eloi Leclerc prêtés à saint François d’Assise dans Sagesse d’un pauvre, ne pourrions-nous pas les comprendre pour nous aussi, à sa suite? Vivre cette mission que je suis sur cette terre, cela suffit. Cela suffit de laisser se déployer de tout mon être, la saveur et la lumière que mon Créateur y a déposés. Cela suffit … et c’est pourtant le combat spirituel qui, quotidiennement, nous accompagne “sur la terre des vivants” (Psaume 114,9)! “Les étoiles brillent, joyeuses, à leur poste de veille ; il les appelle, et elles répondent : « Nous voici ! » Elles brillent avec joie pour leur Créateur.” (Baruch 3, 34-35). Ce passage du prophète Baruch est extrait d’une des lectures de la veillée pascale (qu’on entend rarement proclamer puisqu’elle est la 6ème!). Elle annonce à sa manière l’incroyable nouvelle de la résurrection! Laisser passer la Lumière, briller – comme les étoiles – pour notre Créateur “à notre poste de veille” n’est-ce pas, en effet, la plus belle des ‘résurrections’?
“Quel mystérieux baptême sont ces larmes que nous refoulons a peine, quand un visage d’amour traverse notre regard, en nous révélant le monde que nous croyions peut-être aboli, et auquel nous sentons maintenant que nous appartenons par toutes les fibres de notre être: le monde de l’esprit et de la qualité, du silence et de la clarté. Nous étions là comme d’autres jours, engagés dans les mêmes gestes … et cette lumière a passé, faisant surgir … une Présence voilée, mais aussitôt reconnue en l’émoi qu’elle suscitait en nous. C’était comme un lever d’aube dans la nef d’une cathédrale, quand les vitraux sortent de la nuit … Tout être est capable de nous faire ce don merveilleux qui nous découvre l’humanité vraie. Et ceux qui nous l’ont fait sont à jamais nos bienfaiteurs, quand bien même nous ne les aurions aperçus qu’une seule fois sur la route, car la seule chose qui compte vraiment en nous, c’est ce fonds lumineux dont chacune de ces rencontres a augmenté la richesse.”[2]
Ce lever d’aube, la vie d’un missionnaire Coréen (mort il y a juste un an en Mongolie) vient de m’en refaire le don. Le sel de sa vie donnée jusqu’au bout, en pure gratuité divine, continue de donner saveur au petit peuple de Dieu des steppes mongoles, et bien au-delà! Aujourd’hui, en étant tout simplement ce que nous sommes “à notre poste de veille”, puissions-nous également faire surgir la Présence voilée de son Amour! Belle journée missionnaire à chacun!
Laurence Vasseur, vasseurlaurence@hotmail.com
[1] “La joie de l’Evangile” (2013), 273.
[2] Maurice Zundel, L’Evangile intérieur.
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