Méditation quotidienne du lundi 3 juin : Dis, Papa, la religion… à quoi ça sert ? (No 260 – série 2023-2024)

Évangile du Lundi 3 juin 9e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Ils se saisirent du fils bien-aimé, le tuèrent, et le jetèrent hors de la vigne » Mc 12, 1-12

En ce temps-là, Jésus se mit à parler en paraboles aux chefs des prêtres, aux scribes et aux anciens : « Un homme planta une vigne, il l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Le moment venu, il envoya un serviteur auprès des vignerons pour se faire remettre par eux ce qui lui revenait des fruits de la vigne. Mais les vignerons se saisirent du serviteur, le frappèrent, et le renvoyèrent les mains vides. De nouveau, il leur envoya un autre serviteur ; et celui-là, ils l’assommèrent et l’humilièrent. Il en envoya encore un autre, et celui-là, ils le tuèrent ; puis beaucoup d’autres serviteurs : ils frappèrent les uns et tuèrent les autres. Il lui restait encore quelqu’un : son fils bien-aimé. Il l’envoya vers eux en dernier, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” Mais ces vignerons-là se dirent entre eux : “Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, et l’héritage va être à nous !” Ils se saisirent de lui, le tuèrent, et le jetèrent hors de la vigne. Que fera le maître de la vigne ? Il viendra, fera périr les vignerons, et donnera la vigne à d’autres. N’avez-vous pas lu ce passage de l’Écriture ? La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! »
Les chefs du peuple cherchaient à arrêter Jésus, mais ils eurent peur de la foule. – Ils avaient bien compris en effet qu’il avait dit la parabole à leur intention. Ils le laissèrent donc et s’en allèrent.

Méditation

Ma vie a-t-elle un sens ? Suis-je tombé dans la vie par erreur ? Enfermé vivant dans un monde vide ? Si mon origine n’est qu’un gouffre ouvert sur le néant, les plaisirs arrachés à la sauvette n’éloigneront pas ma destruction dans la mort. Tous les désespoirs et toutes les violences ne me dédommageront jamais de cette absurdité !

Dans cette parabole, les vignerons meurtriers hurlent leur rage à ce Fils qu’ils haïssent. Ils s’emparent du domaine viticole comme des pilleurs sanglants. Pour eux, le sens de la vie est parti en laissant un trou. Avec ces vignerons meurtriers, Jésus met en scène une maladie du pouvoir : que se passe-t-il lorsque les dignitaires en charge du pouvoir courent derrière un idéal devenu vide et sec comme la mort ? Alors, un renversement pervers s’opère… au bien reçu, les vignerons opposent le mal. Sur la vie qui s’offre généreusement dans la vigne, ils font tomber une pluie de coups. Leur haine s’acharne contre l’amour. Ils déchirent les corps pour mettre la main sur une gratuité, insupportable à leurs yeux.

Pourtant, le Fils vient pacifiquement dans son domaine pour partager son amour. Il parle, à la tombée du jour. À ceux qui L’écoutent, Il découvre la beauté d’une existence sous le regard du Père. Dans cette parabole, Jésus vise le personnel qui encadre la vie religieuse : les « chefs des prêtres », les « scribes » et les « anciens ». Derrière la façade du pouvoir, Jésus descelle la violence désespérée des cœurs vides. La structure religieuse, qui devait célébrer la vie en Dieu, reste en place comme un mausolée planté sur un tas d’ossements. Nous pensons de nos jours à de nombreuses formes de pouvoir. Les cœurs sans Dieu brûlent d’une frénésie destructrice.

Le point de départ de cette parabole renvoie à la vigne en or qui, selon l’historien juif Flavius Josèphe, décorait le sanctuaire. Surmontant l’entrée donnant du vestibule sur le Saint, un décor représentait Israël comme une vigne d’or : « Le portail de cette nef était tout entier lamé d’or ; il en était de même de toute la paroi avoisinante : les pampres qui revêtaient la surface de la porte étaient d’or également, et des grappes de la taille d’un homme y pendaient. » (1) À la question des enfants qui accompagnaient leurs parents en pèlerinage au Temple : « Dis, Papa, la religion à quoi ça sert ? », les pères partaient de ce décor pour parler de la vie divine qui nourrit les âmes. Jésus s’inspire de cette vigne d’or qui brillait sous les yeux des auditeurs pour éduquer les esprits. Ces « grappes de la taille d’un homme » présentent l’enjeu de la vie religieuse : faire fructifier la vie des hommes en Dieu comme le vigneron soigne la vigne. Ces grappes, si énormes que deux hommes étaient nécessaires pour les porter, rappellent l’abondance des dons de Dieu dans le pays confié à Israël (Nb 13,23). Dieu donne la vie, Il donne le sens.

La parabole établit le parallèle entre les experts de la religion et les professionnels des vignes. Chacun dans son domaine est spécialiste en grappes ou en Loi, en vendanges ou en sacrifices, en héritages ou en mérites. Tous sont sourds aux intentions profondes de l’homme qui planta la vigne, c’est-à-dire du Père. Au lieu d’être les collaborateurs de la vie divine, les ouvriers s’accaparent le domaine. Refusant le don, ils se rêvent en propriétaires. Pour mieux dire l’amour de Dieu et son refus par les hommes, Jésus glisse dans sa parabole deux extravagances. L’homme qui a planté la vigne envoie ses serviteurs, puis contre tout bon sens, il renouvelle le don en envoyant son fils ! En réponse, les vignerons tuent les serviteurs et, devenus les meurtriers du Fils, ils s’imaginent qu’ils hériteront de la vigne. Ces deux attitudes qui dépassent le bon sens indique une clé d’interprétation. Dieu ne peut S’empêcher d’être bon et de donner. C’est la folie de l’amour divin ! En réponse, les vignerons préfèrent être propriétaires plutôt que fils. Dans leur délire, ils oublient que des assassins n’héritent pas de leur victime. L’âme suspendue dans le néant, les mains crispées sur des biens volés, ces hommes nient Dieu, s’emparent de la Création. Ils prétendent supprimer l’origine. C’est la perversion des hommes !

Comme le Créateur disposa son jardin pour rencontrer Adam et Ève (Gn 2,8), l’homme qui a planté sa vigne établit les conditions d’un échange amoureux. Cet homme à l’origine de la vigne confie ce qu’il a de plus cher. Ce verbe « confier » (2) est utilisé dans le contexte des mariages : Réouël confia sa fille Cippora à Moïse pour se marier (Ex 2,21). On pense aussi aux sources que Caleb confia à son gendre Otniel lors de son mariage avec sa fille Aksa (Jg 1,14-15). Le don des sources comme le don de la vigne scelle une alliance d’échange et de confiance. Tel est le vocabulaire du Père, telle est Sa Parole, tel est son Esprit. Mais, dans la bouche des hommes, ce verbe « confier » prend un autre sens. L’intention amoureuse qui s’exprime dans le don de la vie est oubliée pour ne retenir que le fait brut d’un domaine à exploiter. Finalement, posée devant notre cœur, la question est là : ai-je un Père ? Ce Père, Celui qui a planté ma vie dans ce monde, compte-t-il pour moi ?

De cette relation à l’origine en Dieu, découlent de nombreuses questions : quelle politique ? Quelle économie ? Quelle écologie ?

Vincent REIFFSTECK       vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

(1) Flavius Josèphe (né autour de 37 et mort vers 100), Guerre des Juifs, Livre V, 4, 207.

(2) En grec «ekdidomi».

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