Évangile du lundi 15 avril – 3e semaine de Pâques (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle » Jn, 6, 22-29
Jésus avait rassasié cinq mille hommes, et ses disciples l’avaient vu marcher sur la mer. Le lendemain, la foule restée sur l’autre rive se rendit compte qu’il n’y avait eu là qu’une seule barque, et que Jésus n’y était pas monté avec ses disciples, qui étaient partis sans lui. Cependant, d’autres barques, venant de Tibériade, étaient arrivées près de l’endroit où l’on avait mangé le pain après que le Seigneur eut rendu grâce.
Quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. » Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »
Méditation
Aujourd’hui, notre méditation d’évangile commence comme un conte d’Andersen…
Chaque soir, avant de dormir, Hans, un honnête cordonnier, embrassait son crucifix avec la vénération dont on entoure la sainte croix le vendredi saint. Mais, chaque matin, quelle surprise ! Encore embué de sommeil, cet homme pieux, voyait un spectacle étrange : un être bizarre était assis sur la croix. « Comment est-ce possible ? Tu dois rêver », s’étonnait Hans. En effet, les deux pieds fermement en appui sur la barre horizontale de la croix et assis avec nonchalance sur le sommet de la barre verticale, cet être étrange, enveloppé dans sa cape rouge, toisait notre pieux artisan. Ce n’était pas un lutin, car tout le monde sait que les lutins s’habillent en vert. Chaque matin, Hans se frottait les yeux… Barbouillé de rêves, l’artisan n’en croyait pas ses yeux. Et chaque matin, cette scène se répétait.
Un jour, l’artisan fixa plus attentivement cet être habillé d’une cape rouge qui ondulait en recouvrant la croix. C’était Superman qui regardait notre homme avec un sourire narquois. « Non, ce n’est pas possible ! » Cette hallucination devint le rituel de chaque réveil. Chaque matin, notre pieux cordonnier demandait à ce Superman de quitter ce lieu saint de la croix. Le Superman s’envolait à l’instant, le poing en avant comme il le fait toujours quand il vole. Mais, le lendemain matin, Superman était là… perché sur la sainte croix… il revenait avec la même obstination moqueuse.
L’artisan alla voir son curé pour narrer son histoire. Monsieur le curé ne parut pas surpris. Il répondit avec bonhommie : « Oh… Ça m’arrive aussi tous les matins ! Tous les jours, je dois choisir le Christ crucifié. Tous les matins, je relis mon bon ami Saint Paul : « je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. (1 Co 2,1-5) » Et, toutes les nuits, mes rêves replacent sur la croix un Superman prêt à poursuivre mes lubies et à s’envoler dans l’imaginaire. » Hans demanda à son curé un moyen de faire partir définitivement ce Superman impie. « Je ne sais pas si c’est possible… On le chasse et il revient dans nos rêves de puissance. Mais, travaille, aime ton épouse et tes enfants, visite ton voisin âgé… et Superman se lassera. » Le curé prit un ton grave : « Tu sais, en vérité, Superman n’a rien de « super » et n’a rien d’« humain ». » Avec un sourire léger, il poursuivit : « Car, les chaussures qui se trouent contre les pierres du chemin, l’amour qui se heurte au caractère raboteux du prochain… Superman n’aime pas ça ! »
Finalement, ne sommes-nous pas tous comme Hans le cordonnier qui remplace le crucifié par un Superman ? Ne ressemblons-nous pas tous aux personnages de l’évangile de ce jour qui suivent le Christ qui « avait rassasié cinq mille hommes » et s’économisait la peine de ramer en marchant sur la mer. La foule aimerait bien se déplacer comme Jésus… quelle économie de fatigue ! Jésus n’est pas dupe. Il sait que ces suiveurs ne sont pas des disciples, mais des opportunistes qui cherchent des raccourcis pour aller au plus facile : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. »
Parfois, nous aimerions écrire à notre idée les scènes de la Passion qui résonnent encore à nos oreilles en ce temps de pascal. Et si l’Esprit Saint avait enlevé Jésus pour qu’Il échappe aux soldats qui venaient L’arrêter… et si l’Esprit avait caché Jésus au creux d’un rocher à Gethsémani… ni vu, ni connu… Jésus serait reparti vivre chez sa mère… Nous aimerions un dieu qui échappe aux duretés du réel, un dieu qui règle nos soucis, qui invente des solutions déjà prêtes, qui rabote les injustices à notre place. Ce dieu-là… comme il serait facile d’être son ami ! La conversion ne serait pas nécessaire. Et nous le suivrions avec le sourire… avec le sourire, mais… sans amour…
Notre Seigneur Jésus-Christ ne nous invite pas à déraper dans un imaginaire qui annule le réel. Il ne nous dorlote pas avec les images roses et sucrées d’un Superman qui vole au-dessus du réel. Jésus nous invite à travailler pour grandir dans une foi adulte : « Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. »
Deux réalismes se rejoignent : un réalisme lucide qui affronte le réel comme il est et le réalisme du mystère qui fait de nous des fils et des filles dans le Fils. Devenir Fils… n’est-ce pas à refaire chaque matin comme le conseille le curé de Hans le cordonnier ? Choisir le crucifié qui guide vers la Résurrection. Aimer son prochain, visiter son voisin souffrant, travailler avec constance pour convertir son cœur. C’est tout un programme pour que le cordonnier devienne un disciple du Christ laveur de pieds ! Faire descendre Superman de son piédestal pour aimer le vrai Dieu.
Vincent REIFFSTECK. vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
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