Évangile du Samedi 17 février – Samedi après les cendres (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent » Lc 5, 27-32
En ce temps-là, Jésus sortit et remarqua un publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts) du nom de Lévi assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » Abandonnant tout, l’homme se leva ; et il le suivait.
Lévi donna pour Jésus une grande réception dans sa maison ; il y avait là une foule nombreuse de publicains et d’autres gens attablés avec eux. Les pharisiens et les scribes de leur parti récriminaient en disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus leur répondit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. »
Méditation
L’effacement avait commencé il y a déjà longtemps. Petit, mes parents me disaient brillant mais d’un regard sans éclat. Des paroles m’étaient adressées, rassurantes mais sans lumière. J’ai grandi dans le confort ombragé du manque d’estime, dans la sécurité qui m’apaise et m’engourdit. Sous occupation, romaine, parentale ou la mienne, j’ai été façonné comme nombre de mes semblables à devenir le moins différent possible, à me tenir loin de moi-même, moi Matthieu. S’effacer pour continuer d’exister, par le fil ténu d’une existence sans intensité, à l’abri de la vie, moi Lévi.
Dans le hors-champ du vivant, je me suis trouvé effacé derrière les barreaux d’un cagibi, tout doré et tout près du marché. Là, je suis visible pour collecter taxes et impôts de mes semblables. Le poste est important, aligner les chiffres est apaisant, sans éclat certes mais rassurant en cette fin du monde. À l’étroit dans une vie pleine de possessions, que nous importe le courage d’être ? Je m’accomplis dans le regard approbateur romain, je faillis dans le regard accusateur de mes frères. Accomplir, faillir, n’est-ce pas là le rythme de toute vie ? Re-nommé mais non plus connu, je suis publicain et je tente, à la mesure de mes moyens, de ralentir mon effacement comme les autres. À l’ombre, j’attends, l’argent versé et je regarde les gens, ces juifs et ces gentils, évoluant dans le hors-champ. Le regard haineux qui empêche de me voir, nous nous sommes perdus de vue. Eux aussi luttent contre l’effacement mais c’est peine perdue, en ont-ils conscience ? Quand ils marchent, on ne les entend plus. Immobile à mon poste de collecte, je recueille leur avoir et leur solitude. Ce sont mes semblables, meurent-ils autant que moi, au-dedans ? Dans ma solitude, je ressens puissamment le goût des autres, je ressens passionnément l’effacement de ces pauvres. Pour eux, je suis menace. Pour moi, je suis dénué d’audace.
En un instant, ma solitude fut ébréchée. Entre les barreaux, son regard m’a saisi, j’étais contemplé. Je suis vu en pleine lumière malgré mon cagibi exigu et sombre, malgré mes enfermements. Je suis re-connu malgré ma réputation et la désertion du vivant en moi. Il s’appelle Jésus, il m’appelle et me révèle, moi tout à coup si unique. Intrigante expérience que ce regard dans lequel, je me retrouve à la fois si étranger à moi-même et pourtant familier. Un Je émerge avec une part d’altérité qui me bénit plutôt qu’elle ne me condamne, un Je consolé par ce qui est plus grand que moi en moi. Un Je empreint d’éternité qui cesse de m’enfermer en ce monde, en cette destinée insensée. Entraîné à demeurer immobile des heures durant, je ressens à cet instant l’élan, l’audace enfouie et le foisonnement. Le légionnaire posté à mes côtés depuis 3 ans me surprend. Ce n’est pas moi, ce n’est plus moi, le publicain est tout effacé. Le regard de ce Jésus m’a fait renaître dans un déroutant : « Suis-moi ».
Je suis sorti, sans regarder derrière, je suis sorti hors de mon ego, sans regrets amers. Rien d’apaisant dans ce champ vague dont l’immensité m’attire désormais. Une immensité qui porte le nom de Royaume, un horizon infini dont la substance est l’amour d’un Dieu incarné dans cet homme. Donné sans mérite, reçu sans calcul. En sortant de mon cagibi, le pâle soleil m’aveugle, son regard brûlant me donne chair. Je vais à sa rencontre, j’entre dans le Grand Matin de la Vie.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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