Évangile du Samedi 3 février – 4e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Ils étaient comme des brebis sans berger » Mc 6, 30-34
En ce temps-là, les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger. Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement.
Méditation
La Parole de ce matin nous présente un Christ de compassion, remué jusqu’aux entrailles (selon la traduction de Chouraqui). Le partage de la passion de l’autre, de sa souffrance sans l’endosser, sans la glorifier ni la diminuer ou la lui ôter. Simplement la partager comme une même condition, pleinement et divinement humaine.
À travers cette foule qui accourt, le pas pressé, assoiffée de salut et égarée comme un troupeau de brebis éperdues, je nous retrouve. Égarés nous sommes, avec nos manques qui blessent, nos désirs inassouvis, nos péchés entêtés. Éperdus, nous sommes, avec notre souffrance qui se dilate. Nous portons souvent cette foule quand l’espace intérieur est tissé serrés de fausses croyances et de sous-personnalités. À l’étroit dans notre humanité, pourtant si large qu’elle ne peut être rétrécie, comme une laine bouillie. Une mise en scène de ce soi joué en boucle, le plus souvent coincé entre un faux système de salut et une suffisance aux allures d’invulnérabilité. Bref, une humanité confondue avec une autonomie tricotée et si inutile qu’elle retarde la conscience que nous sommes déjà exaucés.
Mais voilà, tous ces mouvements ouvragés et intérieurs s’agitent et se braquent avec la rencontre de la Vérité incarnée dans un serviteur souffrant. Il nous révèle au fil des millénaires qu’il suffit d’être, tout simplement, tout courageusement. Ces païens pleins de foi, ces juifs ébahis qui accourent, n’ont-ils pas eu les entrailles remuées en apercevant ce Jésus ? Cet homme vulnérable sans armée, sans conquête autre qu’un amour donné et gratuit pour eux, pour nous, sans exception, sans mesure aucune. Un amour si vivant, invincible et si libre qu’il ne peut être entendu et saisi qu’à travers la mort clouée injustement sur le bois. Quel désarroi et quelle espérance que la vie, sous occupation romaine ou post-moderne. Jésus, cet enfant parfaitement confiant d’un Dieu père que l’on pourrait appeler le Grand Dépourvu. Cet enfant vivant en nos entrailles fut langé dans une mangeoire et rayonne de gloire sur la paille. En notre cœur profond, ce roi nous honore, monté sur un ânon. Il s’est agenouillé pour nous laver les pieds, la tête couronnée d’épines et de ronces. Il nous a remis librement sa vie, sans défense ni magie sur la croix des condamnés, au creux de nos mains en eucharistie.
C’est à ce Dieu que nous avons dit oui, c’est ce Fils que la foule a accueilli, n’est-ce pas émouvant de se savoir aimé ainsi ? N’est-ce pas remuant d’aimer ce Jésus où se rencontrent parfaitement le divin, ce laveur de pied et cet humain, dont l’amour montre une grandeur démesurée. La foule et Jésus se contemplent, semblables désormais dans la compassion, semblables dans le maintenant et dans la mort, semblables. Moment de grâce que ce regard échangé entre le Christ et notre foule.
La grâce est le moyen de Dieu pour faire dire oui par les entrailles sans que la tête sache à quoi on acquiesce vraiment. Un oui de pure folie en ce monde maîtrisé. Un oui au Grand Dépourvu qui nous transforme en une Parole, inouïe et inédite pour ce monde qui a tant besoin de l’entendre, de s’entendre.
Au milieu de la foule, au cœur de ma foule, j’adresse la Parole unique que je porte, et j’offre cette prière qui puise dans nos profondeurs, non loin des entrailles :
« Tu te trouves dans cette zone d’inconfort de la vie, dans l’entre-deux d’un choix, dans l’après d’une déchirure, dans l’avant d’un risque, dans le regret ou dans la peur.
Tu te trouves à la margelle du puits, à la frontière de tous tes vertiges et tu voudrais combler la bouche noire et insondable. Tu perdrais alors toute chance de faire remonter, des profondeurs, une eau vive.
Alors puise. Ne t’épuise pas en dispersant ton écoute, écarte-toi des vains conseils de ceux qui ignorent le risque et se parlent à eux-mêmes. Bois à la source de ton courage.
Puise. Jette loin le seau qui sonde au plus profond pour y trouver l’eau claire. Ne t’épuise pas à croire en quelques solutions. Garde ta soif intacte, elle te relèvera ».1
Amen.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
- Marion Muller-Colard, L’intranquillité.
DROIT D’AUTEUR
La méditation peut être partagée à toutes et à tous, en tout ou en partie, mais le nom de l’auteur et l’indication du centre le Pèlerin avec l’adresse du site (www.lepelerin.org) doivent être inscrits, car les droits d’auteur demeurent. Merci de votre compréhension.