Évangile du Mardi 14 novembre – 32e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir » Lc 17, 7-10
En ce temps-là, Jésus disait : « Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »
Méditation
Il y a quelques jours dans la montagne, j’ai eu l’occasion de rencontrer un jeune moine bouddhiste dans son temple. En prenant le thé qu’il nous servait, il nous expliquait avec des mots simples – pour les étrangères que nous sommes – l’enseignement de son maître (Bouddha). A un moment il a dit : l’essentiel finalement, c’est « regarde où est ton cœur ».
En méditant l’Évangile des « simples serviteurs », j’y repense. Jésus ne nous dit-Il pas la même chose, ici dans ce passage comme dans tant d’autres ? “De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites: Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir” » Derrière ces mots, je devine son invitation à ‘regarder notre cœur’, à être attentif à ‘comment’ nous avons fait tout ce que nous devions faire. Ce que nous avons fait, ce que nous devons faire – notre devoir – est important bien sûr, mais plus essentiel encore est ‘avec quelle âme’ nous l’avons fait. « Regarde où est ton cœur ».
Dans le livre de Sagesse d’un pauvre, le P. Franciscain Éloi Leclerc met en scène un long dialogue[1] entre François et frère Rufin revenu vers lui et la communauté après une profonde crise. Ce passage exprime si bien, selon moi, l’enseignement de Jésus dans l’Évangile que nous méditons ce matin, je vous laisse en lire quelques lignes.
« Mes premières années dans la fraternité – c’est Rufin qui parle – se passèrent sans trop de difficultés. Je m’appliquais avec zèle à faire tout ce qui me semblait requérir cette vie nouvelle. Mais au fond de moi-même, j’étais mené sans le savoir par une mentalité qui n’était pas évangélique. […] Au plus profond de moi-même, sans m’en rendre compte, je conservais une grosse part de mon âme, la plus importante. […] Les années passèrent. […] Je me suis vu souvent réduit à remplir ces charges que je jugeais inférieures et viles. Puisque c’était mon devoir, je m’y obligeais. […] Je faisais tout par devoir. […] Ma vie, ma vraie vie était ailleurs. Elle était là où je me retrouvais moi-même. […] Là, je me sentais de nouveau mon maître et je revivais. […] Mais on s’use à ce régime. C’est fou comme on peut se tendre. Tout ce que je faisais par devoir, je le faisais sans cœur, comme un forçat qui traîne son boulet. »
Après avoir écouté Rufin lui raconter sa lente conversion, François lui dit : « Tu sais maintenant ce qu’est un frère mineur, un pauvre selon l’Évangile : un homme qui, librement, a renoncé à exercer tout pouvoir, toute espèce de domination sur les autres, et cependant n’est pas dominé par une âme d’esclave, mais par l’esprit le plus noble qui soit, celui du Seigneur. […] Être pauvre, selon l’Évangile, ce n’est pas seulement s’obliger à faire ce que fait le dernier, l’esclave, c’est le faire avec l’âme et l’esprit du Seigneur. Cela change tout. Là où est l’esprit du Seigneur, le cœur n’est pas amer. […] L’esprit du Seigneur n’est pas un esprit d’amertume, mais de douceur et d’allégresse. »
Dans les paroles de Rufin, quel poids se fait sentir ! Rien qu’en les lisant, on se sent écrasés ! Il utilise le mot de notre Évangile du jour : « devoir », mais ce mot pèse effectivement comme le boulet de forçat dont il parle. « Tout ce que je faisais par devoir, je le faisais sans cœur ». N’est-ce pas cela qui pèse plus que tout autre chose dans nos existences ? Vivre nos journées ‘sans cœur’. Faire ce que nous avons à faire ‘sans âme’ ?
Or Jésus, Lui, nous invite à découvrir un autre paysage intérieur possible, un ‘autre devoir’. Le devoir du serviteur qui vit et fait ce qu’il doit faire ‘avec l’âme du Seigneur’. Son âme à Lui est une âme joyeuse, libre, une âme de Fils. « Ma vie, personne ne me l’enlève ; mais je la donne de moi-même. J’ai pouvoir de la donner et j’ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. » (Jn 10,18) Parole majestueuse de liberté ! Jésus n’est-Il pas Celui qui «quand son serviteur a labouré ou gardé les bêtes, lui dit à son retour des champs: “Viens vite prendre place à table” et se met à le servir ? Librement, comme au jour de la Pâques, «Il se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, Il s’en ceignit. Puis Il met de l’eau dans un bassin et Il commença à laver les pieds des disciples » (Jn 13,4-5)
Et cette liberté-là, tous nous l’avons reçue ! Moi aussi aujourd’hui j’ai le pouvoir de donner ma vie, de l’offrir librement sans goûter à l’amertume des circonstances qui semblent me la voler. Cette liberté reçue, nous avons à la conquérir et reconquérir – à la pointe de l’épée, comme dirait la Petite Thérèse – chaque jour, à chaque instant. Tant de blessures, de fausses croyances, de jugements viennent lui lier les mains, paralyser son élan et l’empêcher de se donner. « Combats le bon combat de la foi, conquiers la vie éternelle à laquelle tu as été appelé » (1 Tim 6,12) Au tout début de mon re-départ dans la vie de foi, je me souviens que cette parole de saint Paul à Timothée me donnait des ailes ! Elle venait réveiller le pourquoi je suis dans ce monde, le plus beau de ma vocation d’être humain : vivre la Vie pleinement, maintenant!
‘Maintenant’, c’est le titre d’une nouvelle chanson de Vianney, qui m’accompagne ces derniers jours.
« Est-ce que la vie se vit au paradis ?
Ou ici-bas ?
Maintenant, mais pas après
Chéris l’instant, balaie le passé.
Certains voudraient vivre vieux
C’est une erreur, faut vivre mieux.
Maintenant, mais pas après …
Certains voudraient vivre vieux
Moi j’ai pas l’heure
Tant mieux.
Certains voudraient vivre vieux
Moi, je veux partir heureux. »
« Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3). C’est ici et maintenant, « avec l’âme et l’esprit du Seigneur » !
Laurence Vasseur
[1] Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, chapitre 8 Si nous savions adorer, Ed. Franciscaines, p. 84 à 89.
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