Évangile du Samedi 4 novembre – 30e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé » Lc 1.7-11
Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient. Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : “Cède-lui ta place” ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : “Mon ami, avance plus haut”, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé. »
Méditation
Les enfants c’est bien connu ressentent la vie de l’intérieur, peut-être même ont-ils gardé un pied dans le Mystère jusqu’à ce que la raison les séduise et les en extirpe de force. De ce mystère, ils ont pourtant saisi la grandeur d’être tout-petit, tout-petit pour y entrer facilement, pour ressentir sans y penser un instant l’enveloppement d’un amour partout présent, parfois même en dehors des parents. Ils ont saisi qu’il n’y a pas de frontière entre la détresse et la joie, entre la vie et la mort. L’un coule dans l’autre dans un murmure secret que seule l’enfance peut décoder sans comprendre. La Parole d’aujourd’hui m’amène à explorer le Mystère de l’amour à la lumière de l’abaissement, condition d’incarnation et à la lumière d’une mutualité de la vie et de la mort qui unit malgré la séparation. Ce que les grands appellent la kénose, Trinité et la Croix.
Pour en revenir aux plus grands théologiens que ce sont les enfants, j’écoutais avec ravissement ces mamans me raconter les stratagèmes de leurs enfants pour s’assurer que leur mère demeurerait bien en vie malgré les nuits, porteuses de mort. L’une, le visage et la robe de nuit fripés, venait poser sa main sur le cœur de sa mère pour sentir le battement et l’aube, l’autre dormait sous le lit pour s’assurer de capter le mouvement et le bruit de ce corps tant connu, tant aimé, mais devenant de plus en plus étranger. Dans tous les cas, il s’agissait de s’assurer que maman ne mourrait pas. La présence de ce qui est tout-petit et qui peut contenir tout l’amour infini était sans doute une protection contre la mort, celle qui rôde et qui ravit. Le dernier de ma tribu s’était enlisé encore plus loin, ne dormant plus qu’à mes côtés, ayant coupé une mèche de mes cheveux pour garder mon souvenir ressuscité. Un jour, surprise, j’ai perçu son visage adouci, l’inquiétude s’était dissoute, la mort qui tue avait-elle disparu ?
Alors que je me débattais dans mes lectures théologiques dont l’éclairant Dieu crucifié de Jurgen Moltmann, mon petit Printemps m’explique avec le sérieux des sourcils froncés qu’il avait compris que la mort n’était pas la fin qui tue. Malgré notre séparation inévitable en ce monde, le cumul de nos moments empreints d’amour permettrait de maintenir ma présence et d’étirer les souvenirs, les gardant de l’effacement, me gardant dans le vivant, le remettant même dans la joie après un certain temps. Pour lui, Dieu était le gardien et grand comptable de ces moments, voilà qui correspondait sans doute à ce qu’on appelle le Jugement. Il avait d’ailleurs estimé du haut de ses 10 ans que nous avions suffisamment vécu de ces moments pour garantir notre lien depuis l’au-delà et que Dieu n’aurait pas à compter l’innombrable ni à perdre son temps mais seulement à nous garder dans son amour, puisqu’il n’est rien d’autre au fond. Condamné à devenir orphelin un jour, il avait trouvé une nouvelle possibilité de vivre et de poursuivre avec sérénité devant la tragédie annoncée.
Revisitant l’abaissement de ce Dieu de chair, laveur de pieds, se livrant à nous jusqu’à se laisser crucifier par amour, je sais qu’à mon départ, je vivrai certainement la douleur de l’abandon et de la rupture avec ces êtres tant aimés, avec ces êtres où j’ai découvert mon Dieu fragile et réfugié prêt à se donner. De même, c’est au sein de cet abandon souffrant qu’a connu le Christ sur la croix que s’y déploie l’amour libérateur, en plein cœur de la douleur du Père. Cet amour qui donne une nouvelle possibilité de vivre depuis l’abandon, les blessures, la souffrance et les condamnations. De la mort du Fils et de la douleur du Père, procède l’esprit d’amour qui donne vie. La Trinité venait de m’être expliquée. Du Fils abandonné par le Père qui endure par sa souffrance cette rupture, le Père et le Fils demeurent unis par leur amour, celui qui, en esprit, renouvelle toute vie. Au cœur de l’abandon et de la souffrance, l’amour ne peut qu’être pleinement, si libre, gratuit si humble et vrai. Au cœur de l’abandon et de la souffrance, c’est la croix qui nous unit au Père, au Fils et en Esprit. Cachés sous les lits, écoutant attentivement la respiration de leur mère, un pied dans le mystère, l’autre dans ce qui est tout-petit, les enfants effleurent déjà cette Trinité. Ce mouvement d’espérance qui naît de la croix pour que l’Amour s’engendre et se donne. À travers l’abandon et la douleur, à travers les nuits qui finissent dans le jour, l’enfant sait que là s’y puise la Vie qui libère de toutes les peurs, que là s’y puise la foi dans l’éternité des mères et de leur coeur.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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