Évangile du Vendredi 12 mai 2023 – 5e semaine du Temps pascal (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres » Jn 15, 12-17
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »
Méditation
Et plus, si affinités
Il s’agit là d’une expression consacrée pour les mendiants d’amour sur les sites internet de rencontres. Attablée devant une pâtisserie avec une copine, qui vient de s’échouer comme tant d’autres parmi nous sur les rives des « séparés », elle balaye les écrans de son téléphone, fascinée. Un monde de possibilités, d’hommes et de pétillements vient de s’ouvrir comme un ciel sombre qui se déchire. Des visages masculins surgissent et se succèdent dans l’anonymat et le jugement, certains mis en scène d’autres indéfinissables. Je prends acte de mes résistances et d’un certains mépris, quelque chose m’échappe dans l’espérance dont ma copine se nourrit et qui pour moi, la rabaisse. Je m’agrippe à mes appartenances, il me semble que mon intimité ne pourrait se tisser avec les fils ténus des affinités, forcément la recommandation par quelqu’un de proche ne serait pas loin. Pourtant n’est-ce pas là le versant éloigné de l’altérité ?
Moissonneuse de médailles d’honneur, de services rendus et de compétition, ma copine enfile les uniformes prestigieux de celle qui a réussi sa vie, sa carrière, surtout celle qui absorbe la vie en fait. Brillante, elle émane la lumière du succès, ce halo lumineux autour d’un trou noir. À plus de cinquante ans, elle m’annonce avoir réalisé qu’elle n’a jamais vraiment aimé ni été aimée, sa vie est ratée. Le café refroidi, le glaçage de l’éclair au chocolat tombe décidément sur le cœur.
Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés…
Je médite le commandement en la contemplant, alors que sa souffrance la tourne vers l’étranger, ma prétendue ouverture me détourne de cette altérité. Mais à qui le Christ s’adressait-il dans son commandement ? Et qu’implique au juste ce fameux comme ? Ces questions me furent déjà posées dans un cours de théologie 101. J’avais eu tout bon : la règle d’or s’adresse aux hommes et aux femmes de bonne volonté, elle implique le pardon réciproque et la fraction du pain. Facile d’aimer dans l’entre soi et l’entre nous, pardonner à un ami, partager avec un proche, confortablement installée dans ses appartenances. Mais laver les pieds d’un traître, libérer la parole d’une inconnue fautive, s’abandonner en confiance au prodigue. Célébrer le blessé et son histoire dans laquelle aucun beau rôle ne m’appartient puisque tour à tour, j’ai été traîtresse, fautive, prodigue et blessée. Et plus, si affinités.
La loi définit l’affinité comme un lien de parenté par alliance, et plus généralement, l’affinité est un rapport de nature ou de convenance entre des êtres ou des choses (CNRTL). Ma copine ploie sous le poids de ses médailles, plongée dans la souffrance de toutes ces convenances qui l’on configurée depuis l’enfance. À travers tous ces visages de Dieu catalogués sur un site de rencontre et présentés comme une offrande, une soif d’amour malgré les mises en scènes dissimulant mal les blessures, malgré la sexualisation, malgré la boursouflure du soi, il y a une quête d’un rapport plus profond à la nature de l’autre, à sa propre nature. Le théologien et paléontologue Teilhard de Chardin définissait l’amour comme l’affinité de l’être pour l’être (Le Phénomène humain, 1955, p. 293). C’est précisément la beauté de l’accompagnement qui accueille des êtres de tous horizons, de toutes croyances, complètement étrangers les uns des autres. Quelle que soit la blessure, l’intensité d’une foi ou la ternissure des médailles méritées, c’est l’affinité de l’être pour l’être dans laquelle Dieu se livre et se donne en pleine altérité qui définit l’amour du Christ. Cette affinité qui manifeste en relation ce lien de parenté par alliance avec Dieu en l’autre. À la suite du Christ, toute rencontre devient désormais promesse d’engendrement mutuelle et plus, si affinités! Sur ces pensées, elle me lance : « ça y est, j’ai trouvé l’homme de ma vie! » Je souris, et je lui réponds : « moi aussi ».
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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