Évangile du Samedi 6 mai 2023 – 4e semaine du Temps pascal (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Celui qui m’a vu a vu le Père » Jn 14, 7-14
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père, et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai. »
Méditation
En méditant cet extrait johannique qui s’offre à nouveau pour faire bien entendre que l’on n’épuise ni la parole du Christ ni la présence qu’elle dépose délicatement en soi, une autre voie s’ouvre. Une parole que je n’avais pas remarquée jusqu’ici, interpellante, comme toujours : si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes… En vérité, en vérité, celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais; et il en fera de plus grandes…
Croire à cause des œuvres, c’est croire du dehors en remarquant les signes visibles de l’amour en action, la charité. Croire du dehors, c’est se rendre à l’évidence. Comment expliquer l’appel à la radio pour une insurrection de bonté de l’abbé Pierre en 1954 qui amassa plus de 500 millions de francs en dons en quelques heures, de façon aussi inattendue qu’inespérée ? Comment expliquer la guérison miraculeuse de la petite voisine à demi-paralysée qui résidait à un jet de pierre de ma mère, alors adolescente? Tout le village s’était mobilisé pour organiser le déplacement jusqu’au Frère André, qui l’a ointe en maugréant. Elle est retournée dans son village en courant comme une Samaritaine. Comment expliquer que le mouroir de Khaligat à Calcutta ne serait que la première œuvre de Mère Térésa et des 610 missions qu’elle fondera dans 141 pays au moment de sa mort ? Devons-nous ajouter que cette fécondité s’est déployée au cœur d’une douloureuse nuit où Dieu semblait l’avoir abandonnée ?
Croire du dehors, c’est de ne pas faire preuve de mauvaise foi, accepter le mystère de l’extraordinaire fécondité de l’amour. Il est étonnant que cela puisse suffire au Christ. En même temps, ce croire malgré soi n’est pas refus, il n’entrave pas l’action de l’amour, le don qui se répand, source de vie et de justice. Il n’est pas indifférence non plus, en cela il n’est pas faux ni imbibé de péché. Croire à cause des œuvres, c’est donc ajouter foi comme un spectateur mais croire en la cause des œuvres, c’est croire du dedans. C’est consentir au Christ qui agit en soi pour produire de telles œuvres afin que le Père soit glorifié, afin qu’il rayonne, à travers soi, jusqu’à susciter le croire même du dehors. L’humanité du Christ devient ainsi unie à Dieu comme à mon identité filiale pour que mon don devienne chemin d’incarnation, de vérité et de salut. Pour Maurice Zundel, ce passage de l’extériorité à l’intériorité se résume en la personne de Marie, elle fait naître l’humanité de l’Évangile :
Marie, par son adhésion totale à Dieu, dont elle se nourrit totalement, l’incarne : en cela, elle nous montre le chemin de l’intériorité. En offrant Jésus au monde, elle nous apprend le partage de cette intériorité. Elle installe alors l’humanité évangélique dans la relation trinitaire, relation dans laquelle Dieu n’est plus puissance extérieure à nous et au monde, mais ce qu’il y a en nous de plus sacré et qui nous relie. Elle ouvre le chemin qu’emprunteront les saints et les mystiques, du rapport personnel à Dieu qui est aussi celui de la communion universelle (Je ne crois pas en Dieu, je le vis, Le Passeur, 2017 (2022), p. 259).
Tout acte créateur et qui instaure une histoire d’amour, c’est d’abord notre oui nous rappelle l’Annonciation. Sans le consentement de l’enfant, la générosité d’un père idéal ou l’intensité de l’amour d’une mère saine peuvent s’échouer sur les rives de l’indifférence ou de la fermeture. C’est le risque de toutes les tendresses du monde qui peuvent se cogner à un cœur fermé, c’est le risque de ce Dieu amour qui n’a que la puissance de se donner. Dieu peut donc mourir, remis en nos mains, en notre pouvoir.
Croire du dedans, c’est dire oui à chaque instant à la promesse du Grand matin même formulée au cœur de l’enfer : « Je vais T’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi » (Etty Hillesum, prière du dimanche matin 12 juillet 1942, Auschwitz).
Barbara Martel
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