Évangile du Samedi 29 avril 2023 – 3e semaine du Temps pascal (tiré de Aelf)
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » Jn 6, 60-69
En ce temps-là, Jésus avait donné un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm. Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !… C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. »
Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »
Méditation
Elle est dure cette parole! Qui peut l’écouter ? Je ferme les yeux, la chair n’est d’aucun secours… Je me rappelle, il y a quelques années, mon petit dernier alors âgé de 6 printemps m’avise, avec un air de celui qui sait, que son ami avait perdu la vie. Son ami avait perdu la vie…
Un pied dans le doute et l’autre dans l’horreur, je valse entre l’injustice des maladies infantiles qui frappent aveuglément et l’importance d’accueillir le mystère de toute vie qui la rend si digne et si insaisissable. Petit Printemps me voit tergiverser comme une philosophe et me coupe l’élan net en me sermonnant avec l’air de celui qui décidément en sait trop : « Mais non Maman, tu ne comprends rien, faut toujours tout t’expliquer! Émile s’est suicidé ».
Émile avait 6 ans.
Dans les services pédiatriques américains, le nombre de consultations pour des tentatives de suicide ou pensées suicidaires chez les enfants et les adolescents a presque doublé depuis la dernière décennie. 43% des petits patients en consultation avaient entre 5 et 11 ans*. Au département des écorchées vives, il y aura aussi la maman de Sacha, 20 ans, orpheline elle aussi de la chair de sa chair. Travaillant dans le milieu communautaire, elle a confié le cœur émietté : « j’ai transmis des valeurs que je portais et qui ont éteint mon enfant en cette époque de souffrance, comment n’ai-je pas réussi à lui transmettre le goût de vivre ? »
L’évangile d’aujourd’hui évoque la désertion d’une foule scandalisée par la remise en question du mirage de la chair, des valeurs et des notions inculquées par les pères. Outrage christique, rien ne sert de s’agripper à des mots appris, de se fixer sur des notions, de se figer avec des valeurs, de s’immobiliser sur des diagnostics. Nous ne pouvons respirer que par le souffle, que par la respiration divine.
C’est le Souffle esprit, celui qui rend vivant. La chair n’est d’aucun secours. Les mots que moi je vous ai dits sont souffle esprit. Oui, ils sont vie (v. 63).
Nos milieux de vie, incluant nos familles, nos classes et nos chambres d’hôpitaux sont asséchés de toute spiritualité. En nos lieux et relations, entendons-nous des mots qui sont vie ? Aseptisés, nous avons mangé de cette manne, celle de nos pères, prophètes et professeurs. Mâchant le mesurable et l’objectif, ravalant le progrès, idolâtrant ses promesses et ses sciences. Seul accès crédible au réel et pathologisant la différence ainsi que la vulnérabilité, de la vieillesse à l’enfance. Quand tout est expliqué, le spirituel reste occulté. Émile avait certainement été ausculté par une multitude de spécialistes, aucun ne s’est soucié de son souffle de vie, ne s’est inquiété de sa respiration divine. Lui a-t-on soufflé des mots qui sont vie à l’oreille ? Lui a-t-on infiltré un peu d’éternité en lui rappelant qu’il était merveille ? Trop affairés que nous étions à compléter sa prescription.
À compter de ce moment, nombreux parmi ses disciples ont rebroussé chemin et n’ont plus marché avec lui (v. 66).
Et nos pères sont morts, usés, suintant de savoir et d’absence. Et nos enfants sont morts, diagnostiqués par le savoir, évidés de toute enfance, évidés de nos présences. Les relations sont devenues normées par les idéologies sécuritaires, examinées par les experts et dénuées de toute spontanéité évangélique sous peine d’être taxées de folie. Dans un monde désenchanté qui ne contemple, du haut de son Aéropage, que les ruines d’un Royaume de papier, d’articles publiés et de dollars imprimés. Que reste-t-il pour les petits princes et les Émile de ce monde ?
Dans nos cheminements au Pèlerin, nous ouvrons nos caveaux pour y bercer amoureusement nos lambeaux d’enfance rejetée, abusée, trahie, exclue. Patiemment, nous retissons, consolons, recollons ces lambeaux en une courtepointe pleine de sens, de saveurs et de missions. Dans nos chemins, en pleine humanité, nous ouvrons à nouveau nos caveaux pour y enterrer nos enfants en lambeaux. Ces enfants essoufflés et qui n’ont plus rien de vivant à six ans. De là-haut, Émile nous fixe avec ses grands yeux couleur Royaume : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Demain avec Petit Printemps, nous irons porter des fleurs sur sa tombe en lui répondant : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as des mots pour la vie à jamais » (trad. F. Boyer, Les Évangiles, 2022).
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
*Burstein B, Agostino H, Greenfield B. Suicidal Attempts and Ideation Among Children and Adolescents in US Emergency Departments, 2007-2015. JAMA Pediatr. 2019;173(6):598–600. doi:10.1001/jamapediatrics.2019.0464
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