Méditation quotidienne du mardi 14 mars : Abandonner pour posséder vraiment (No 177 – série 2022 – 2023)

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Évangile du Mardi 14 mars 2023 – 3e semaine de Carême (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère » Mt 18, 21-35

En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois. Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.
Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !” Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.
C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »

Méditation

« Ce que tu n’abandonnes pas à autrui, tu ne l’auras pas. » [1]  Ces mots de saint Pierre Chrysologue proposés dans l’office des lectures d’aujourd’hui me semblent résumer ce que Jésus nous a dit dans l’Évangile. Dans cette même homélie, il dit encore : « Il doit faire miséricorde, celui qui espère obtenir miséricorde ; celui qui veut bénéficier de la bonté doit la pratiquer ; celui qui veut qu’on lui donne doit donner. C’est être un solliciteur insolent, que demander pour soi-même ce qu’on refuse à autrui. Sois la norme de la miséricorde à ton égard: si tu veux qu’on te fasse miséricorde de telle façon, selon telle mesure, avec telle promptitude, fais toi-même miséricorde aux autres, avec la même promptitude, la même mesure, la même façon.»

             « Demander pour soi-même ce qu’on refuse à autrui » est une insolence, nous dit-il. Cela semble si clair, si évident ! Et pourtant, dans la vie « réelle », dans nos relations quotidiennes, dans les tensions et les conflits qui se présentent si facilement, cela l’est beaucoup moins !

            Je crois que c’est pour cette raison, pour cette « incohérence » de nos vies vulnérables, que Jésus répond à Pierre par la parabole que nous venons de lire. Dans notre traversée du désert (carême), en « bons chrétiens » – comme Pierre – on désire sincèrement se convertir, pardonner les fautes de nos frères « jusqu’à sept fois » !! et … Et pourtant … combien vite s’efface dans notre mémoire combien nous avons été pardonnés de notre mal « 70 fois sept fois » !

            Le serviteur de la parabole avait été pardonné d’une dette incomparablement plus grande que celle de son compagnon envers lui. Et pourtant, aussitôt pardonné, il se jette sur lui pour l’étrangler, refuse la compassion et la patience qu’on lui supplie, exige qu’on lui rembourse sa dette, immédiatement ! Quand nous voyons cette attitude, notre cœur s’indigne ! Comment est-ce possible qu’une personne puisse faire pareil !

Or l’Évangile nous dit que « les compagnons (du mauvais serviteur), voyant cela, furent profondément attristés ». Leur tristesse contraste avec mon indignation, ma tentation du jugement. Pourquoi s’attristent-ils lorsqu’ils contemplent l’incohérence – l’insolence, dirait saint Pierre Chrysologue – de leur compagnon ? Pourquoi sentent-ils de la tristesse là où moi je tombe dans le jugement si automatique de mon frère ?  Je me sens invitée à méditer cela …

La tristesse « des amis de l’Époux », celle des fils d’un Père tel que Lui, pétri de compassion et de miséricorde, ne serait-elle pas celle-ci ? « Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » La tristesse de celui qui découvre que l’amour donné n’a pas été compris … La tristesse de constater que le cœur pardonné n’a pas consciemment reconnu le « don » reçu …

Récemment dans une de ses catéchèses sur la passion pour l’évangélisation, le Pape François nous invitait à réfléchir sur le pourquoi de l’annonce de l’Évangile. « Pourquoi annoncer. La motivation réside dans cinq paroles de Jésus, qu’il est bon de rappeler : “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement” (Mt 10, 8). Cela fait cinq mots. Mais pourquoi annoncer ? Parce que j’ai reçu gratuitement et que je dois donner gratuitement. L’annonce ne part pas de nous, mais de la beauté de ce que nous avons reçu gratuitement, sans mérite : rencontrer Jésus, le connaître, découvrir que nous sommes aimés et sauvés.»[2]

Si je ne reconnais pas ce que j’ai reçu, comment pourrais-je le donner ? Si mon cœur n’est pas éveillé à la démesure de ce qui m’a déjà été pardonné, comment pourrais-je à mon tour donner le pardon à celui qui m’a fait mal ? La toute première évangélisation ne serait-elle pas celle qui dévoile à mon cœur endormi, paralysé, aveugle, la compassion dont il a fait l’objet, sans aucun mérite de ma part ? Entre compagnons de route que nous sommes – comme ceux de la parabole – n’est-ce pas ce « rappel » de ce qui nous est arrivé que nous nous devons ? « Rappelle-toi, Quelqu’un a donné sa vie pour toi ! Tu n’as rien fait pour le mériter. C’est absolument gratuit. Si aujourd’hui tu es debout, capable d’aimer, c’est parce qu’un Autre t’a relevé et t’a aimé le premier. »

Dans le psaume du jour, le psalmiste demande à Dieu : « Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. » Ces mots, il nous invite à les faire nôtres. Ta route, tes voies, fais-les moi connaître. Ta miséricorde inconditionnelle, sans calcul, enseigne-la moi pour que j’apprenne à lui prêter mon cœur, mes lèvres, mon regard … pour qu’elle prenne chair, enfin.  

Aujourd’hui Tu me redis : « Ce que tu n’abandonnes pas à autrui, tu ne l’auras pas. » Le paradoxe de l’Évangile c’est que ce que je ne donne pas à l’autre, ce que je ne lui « abandonne » pas – sûr de ne jamais vouloir le récupérer – je ne le posséderai pas. Si je désire ardemment « avoir » en moi l’expérience de la miséricorde, c’est seulement en étant miséricordieux avec l’autre que je l’« aurai ».

Abandonner pour posséder vraiment … notre éternel chemin vers Pâques.

Laurence Levasseur


[1] Homélie de saint Pierre Chrysologue, Office des lectures du mardi de la 3ème semaine de Carême.

[2] Audience générale, catéchèse – La passion pour l’évangélisation : le zèle apostolique du croyant – 4. Le premier apostolat, mercredi 15 février 2023.

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