Méditation : Déjà là… et pas encore… ce déséquilibre qui met en marche ! (No 120 – série 2022-2023)

Évangile du Lundi 16 janvier 2023 – 2e semaine du Temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« L’Époux est avec eux » Mc 2, 18-22

En ce temps-là, comme les disciples de Jean le Baptiste et les pharisiens jeûnaient, on vint demander à Jésus : « Pourquoi, alors que les disciples de Jean et les disciples des pharisiens jeûnent, tes disciples ne jeûnent-ils pas ? » Jésus leur dit : « Les invités de la noce pourraient-ils jeûner, pendant que l’Époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’Époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors, ce jour-là, ils jeûneront.
Personne ne raccommode un vieux vêtement avec une pièce d’étoffe neuve ; autrement le morceau neuf ajouté tire sur le vieux tissu et la déchirure s’agrandit. Ou encore, personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; car alors, le vin fera éclater les outres, et l’on perd à la fois le vin et les outres. À vin nouveau, outres neuves. »

Méditation

   Le thème du mariage traverse toute la Bible pour dire la relation d’amour entre Dieu et son peuple dans une Alliance. Nous connaissons tout cela… la liturgie décline souvent ce thème… qui parcourt la symphonie biblique. Mais, arrêtons-nous sur cette image de l’amour humain utilisée pour dire la relation d’intimité avec le Très-Haut. Le maître de l’univers tombe amoureux de l’humanité et la porte comme le jeune époux soulève sa fiancée pour la rapprocher de son coeur. Quelle merveille de proximité ! Le temps de fiançailles entre Dieu et son peuple s’est vécu au désert lors de la sortie d’Égypte. Ce fut un temps d’amour où Dieu était seul avec son peuple comme un fiancé aime à être seul avec sa bien-aimée. Mais, on sait que les nuages se sont amoncelés et que l’orage a obscurci l’idylle amoureuse. Le peuple a délaissé le vrai Dieu pour se forger une idole manipulable à son gré : un Veau d’or qui devait marcher à la tête du peuple a été fondu à partir des parures et des bijoux.

   Aujourd’hui, l’image du Veau d’or ne parle plus vraiment. Quel est le sens de cette idole ? L’idole est un support sur laquelle je projette ma puissance : une statue, un produit, une star, le travail, une institution deviennent le dépositaire exclusif de ma puissance. Courir derrière une illusion que je projette, que je construis, que j’entretiens, que je manipule et déplace à mon gré, tout cela donne la sécurité de toujours faire ce que je veux… de toujours suivre mon instinct… C’est un peu comme si l’époux délaissait sa fiancée pour rejoindre l’écran noir où se projette tous les fantasmes, tout le vaste monde des délires…

  Mais, est-ce un bénéfice ? Est-ce une piste de vie ? L’idole est une perte. Quelle misère de ne pas savoir reconnaître sa faiblesse, son manque, son vide ! Quel gouffre de malheur que de se forger une illusion pour compenser ce qui manque dans la relation avec l’autre ! Dans un couple, dans une communauté, ne vaut-il pas mieux dire ce qui fâche, exprimer ce qui ne va pas ? Ce qui est difficile à dire… tout cela reste dans la réalité, alors que déraper dans l’imaginaire de l’idole, dans l’illusion d’une compensation qui comble… tout cela enferme dans la petite prison d’un moi blessé !  C’est pourquoi, dans le Livre de l’Exode, le désert et les noces sont deux aspects d’une même réalité. Dans le Livre du prophète Osée, nous retrouvons cette articulation de la plénitude des noces et du manque expérimenté au désert : « C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. » (Osée 2,16). La vérité d’une relation est à ce prix… Aimer, connaître quelqu’un c’est-à-dire expérimenter le contact réel avec l’autre qui contient ce double aspect du manque qui brûle et de la plénitude qui comble. Puisque dans l’amour comme dans la nourriture, il s’agit d’une question de vie ou de mort, la Bible choisit le jeûne et la nourriture comme voix d’accès au mystère de l’amour. Le peuple de Dieu jeûne au désert, il goûtera aussi aux cailles, à la manne offerte par le Seigneur. Jeûne et festin de noces disent tous les deux quelque chose de l’amour. Celui qui jeûne expérimente dans son corps le manque de festin des noces. Quel est le contraire du jeûne ? C’est l’idole gonflée de vide. Vivre sous la domination d’une idole est un alcool fort qui enivre du poison de la toute-puissance. Jeûner dégonfle les illusions et situe dans le désir de la rencontre nuptiale.   

    Dans l’évangile, Jésus ne rejette pas le jeûne, les prescriptions du sermon sur la montagne (Mt 6,16-18) le montrent. Mais, dans l’évangile d’aujourd’hui, nous comprenons que la venue de Jésus est un temps de fête. Car, dans Son corps, Jésus réconcilie l’humanité et son Dieu. Sa présence est pour Israël un cadeau de la part du Père. Son existence se place sous le signe du mariage entre le ciel et la terre. Jésus est l’Époux paré de son vêtement de noces. Il est l’humanité revêtue de gloire dans cet habit neuf qu’on ne taille pas dans de vieux tissus. L’heure est à la réjouissance de la noce !

  Plus tard, lorsque Israël aura rejeté son messie, lorsque l’humanité aura refusé son Sauveur, les disciples commenceront le jeûne chrétien issu de la croix. Il y aura un moment pour ne plus boire le vin de la fête. D’ailleurs, Jésus l’annonce à la veille de sa mort : « Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » (Mt 26, 29). Lorsque ce temps de jeûne sera arrivé, l’Église vivra avec gravité le jeûne comme signe du rejet du Messie et en même temps, elle vivra la joie de la résurrection comme signe de la victoire de ce Messie sur les tentatives désespérées de l’humanité pour réduire Dieu à l’impuissance. Le temps de l’Église est pris dans cette tension entre la pénitence du manque et l’aspiration vers la joie de la plénitude. Cette tension trace le sens d’une marche vers l’Époux. La victoire du Christ est acquise et nous restons en marche… L’Époux est venu, Il est là et Il manque… jusqu’à l’accomplissement de Son retour.   

Vincent REIFFSTECK, vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

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