Méditation : La rupture instauratrice (No 104 – série 2022-2023)

Image par Scottish Guy de Pixabay

Évangile du Samedi 17 décembre 2022 – 3e semaine de l’Avent (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Jésus, fils de David, fils d’Abraham » Mt 1, 1-17

Généalogie de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham.
Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, Juda, de son union avec Thamar, engendra Pharès et Zara, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram, Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naassone, Naassone engendra Salmone, Salmone, de son union avec Rahab, engendra Booz, Booz, de son union avec Ruth, engendra Jobed, Jobed engendra Jessé, Jessé engendra le roi David.
David, de son union avec la femme d’Ourias, engendra Salomon, Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa, Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias, Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Acaz, Acaz engendra Ézékias, Ézékias engendra Manassé, Manassé engendra Amone, Amone engendra Josias, Josias engendra Jékonias et ses frères à l’époque de l’exil à Babylone.
Après l’exil à Babylone, Jékonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Éliakim, Éliakim engendra Azor, Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akim, Akim engendra Élioud, Élioud engendra Éléazar, Éléazar engendra Mattane, Mattane engendra Jacob, Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ.
Le nombre total des générations est donc : depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, quatorze générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations.

Méditation

Lire cette page d’évangile, c’est comme entrer de reculons dans l’avenir. Regarder ces générations dans lesquelles s’inscrit Jésus jusqu’à la rupture sans voir l’avenir vers lequel on avance. Le Christ, mort en croix ne laissera aucune descendance, seulement un engendrement. Une descendance où l’on naît par l’esprit au creux d’une chair éternelle. Comme une vérité nouvelle, une vérité qui reste à faire et qui fait vivre.

Un engendrement donc à partir d’un évènement de rupture dont le langage est devenu inintelligible pour la plupart d’entre nous aujourd’hui. Nous nous inscrivons dans la rupture instauratrice de la modernité. Tectonique des ruptures, tectoniques des nouvelles conditions de signification dans lesquelles nous nous comprenons : le croyable revêt désormais l’armure scientifique, la foi est devenue savoir parmi d’autres, passible de folklorisation. Je lis avec curiosité tous ces noms qui s’empilent dans une généalogie savamment édifiée. D’Abraham à Joseph, la distance et l’étrangeté empêchent le naturel de l’appartenance. Seule l’expérience commune et millénaire de la transcendance personnellement adressée, nous rapproche. Avec Abraham, Manassé et Jacob, l’humanité continue de marcher accompagnée par un Dieu mort et ressuscité.

Il a quitté ce monde dans l’éclat d’un départ vers la lumière qui est Vie. De nos jours traversées de mille et uns langages, le chrétien et la chrétienne pensent leur existence à la lumière de cet éclat, nous pensons la vérité de notre Dieu qui ne se trouve pas dans les mots des contemporains, qui ne peut s’épuiser dans leurs pensées. Ainsi, selon Gérard Bailhache psychanalyste, le langage pour dire son Dieu sera brillant s’il est éclairé par les éclats de sens dispersés sur le chemin de l’existence, des éclats accueillis comme des dons (Revue Projet, 2003).

Une rupture qui instaure ? Étrange notion. Et qu’instaure-t-elle ? Le concept provient du philosophe Michel de Certeau. Dans la Faiblesse de croire, il s’interroge sur le devenir du discours chrétien devant l’effondrement des valeurs de l’Église dans la culture contemporaine. Le christianisme et ses valeurs sont devenus légendes dans notre société du spectacle. Penser le christianisme aujourd’hui, en déclinant des noms de patriarches juifs millénaires qui n’évoquent rien pour la Québécoise que je suis, appelle un itinéraire. Une marche comme un désir d’aller vers l’autre pour rencontrer l’Autre, une marche comme un travail, un labour qui n’est pas sans rappeler étrangement le processus d’accompagnement spirituel. Mais est-ce bien étrange au fond ? Notre marche suit pas à pas celle du peuple de Dieu depuis toujours.

D’abord un exil en guise d’exploration de ces énoncés fondateurs mais évidés de leur signification. Ces noms ne sont plus figés comme un lieu sûr et n’enveloppent plus l’expérience de foi deux fois millénaires. Comme Abraham puis son peuple sur le chemin de l’exil, les fondements s’expriment en des contrées inconnues, des expériences nouvelles. Croyants en exil, appelés désormais à vivre la diaspora, accueillir l’inédit de l’autre, nous faisons, par l’altérité, la découverte d’un Dieu marcheur ou non pas d’un Dieu qui siège. Les repères catholiques sont presqu’effacés, les débris des parvis asphaltés disparaissent et le Notre Père figé dans les mémoires, n’est plus nôtre, n’est plus là. S’approprier cette pèlerine dépouillée que je suis auprès de ce Dieu marcheur, auprès de ce tiers-absent qui n’a plus de lieu et qui ne me lègue plus que l’écoute et l’accueil. Abraham a-t-il connu autre chose ? En ce non lieu de la post modernité, l’altérité devient chemin de désappropriation. Je cherche l’autre et ce qu’il y a d’autre. Que dois-je faire pour rester chrétienne ? Je comprends que la vérité du christianisme reste à faire. Cette ouverture, cette altérité, cette vérité qui reste à faire, c’est ce que la rupture instaure, en ce monde et en ma foi.

En se tournant vers l’autre, en qui parle l’Autre, qui passe et altère, je suis cet homme par terre que le raisonnable et l’estimé enjambent. Ce Dieu marcheur et samaritain me semble parfois autre que celui de la lignée généalogique. Il est cet autre, un inattendu qui me recueille, me transporte et me soigne. J’ai autant besoin de ce sauveur qu’il a besoin de moi pour être Dieu. Sur le chemin de la vérité et de la vie, je ramasse les éclats de sens dispersés, laissés là par les autres qui passent et m’altèrent. Sur le chemin de ma vie, mon identité porte la marque filiale, l’empreinte indélébile de l’être-accompagné.

Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)

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