Méditation : Le saut de Dieu à Dieu (No 67 – série 2022-2023)

Image par Martin Winkler de Pixabay

Évangile du Jeudi 10 novembre 2022 – 32e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Le règne de Dieu est au milieu de vous » Lc 17, 20-25

En ce temps-là, comme les pharisiens demandaient à Jésus quand viendrait le règne de Dieu, il prit la parole et dit : « La venue du règne de Dieu n’est pas observable. On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous. » Puis il dit aux disciples : « Des jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas. On vous dira : “Voilà, il est là-bas !” ou bien : “Voici, il est ici !” N’y allez pas, n’y courez pas. En effet, comme l’éclair qui jaillit illumine l’horizon d’un bout à l’autre, ainsi le Fils de l’homme, quand son jour sera là. Mais auparavant, il faut qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération. »

Méditation

Entre la venue du Règne de Dieu et la venue du Jour de l’Homme, il y a comme une dynamique contraire. Le premier est invisible et le second visible. Le premier ne sera pas annoncé et l’autre sera sujet à de fausses annonces. Le premier est au milieu de nous, ou traduira Chouraqui, « en nous », et le second sera comme un éclair transfigurant l’horizon. Le seul trait d’union entre le Règne de Dieu et le Jour de l’Homme, fort différents dans leur dynamique, est que le Fils de l’Homme, « il faut qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération ».

Étrangement, cela m’a reconduit à Ars avec saint Jean-Marie Vianney et à cette histoire qui m’y a été racontée. Lors d’une homélie du Saint Curé d’Ars, il aurait dit, en la présence d’une mère dont le fils s’était suicidé, « entre le pont et la rivière, il y a l’infini de la miséricorde de Dieu ».  Il me semble que l’Évangile de ce jour raconte, à sa façon, la même histoire.

La rivière est cette vie qui coule en nous, vie toute intérieure qui nous vient de Dieu et qui sans cesse nous irrigue. Aucune voix ne la proclame mais elle est là continuellement donnée.  Le Règne de Dieu repose donc en nous en Présence et nous n’avons ni à courir ici ou là mais, simplement, à se laisser glisser humblement en son courant.  Mais, malheureusement, à cause du mal qui nous frappe, trop souvent nous nous jetons dans la vie non pour vivre mais pour mourir.  La vie qui devrait être signe de Dieu et de sa Présence devient le lieu ténébreux de nos errances et le règne diaboliquement envoûtant de la mort.

Quant au pont, n’est-ce pas le Christ, celui qui permet de franchir le chemin de la terre au ciel et, plus spécialement, de la mort avec son péché à la Vie avec sa plénitude d’Amour?!  Pont très réel parce que le Fils a accepté « de souffrir beaucoup et d’être rejeté ». Si ce jeune est sur ce pont, attiré de mort vers cette rivière, sans le savoir il est uni au Christ et le Christ reste présent à lui tout au long de sa chute. Ce jeune, déchiré par tant de voix qui l’ont mené à courir depuis trop longtemps ici ou là, ne sait plus entendre une Autre Parole ni distinguer la voix de la Vie de la voix du mal.

Mais le miracle est que Dieu a uni le Jour de l’Homme et le Règne de Dieu par sa Croix, si bien que du pont à la rivière, ce jeune, sans le savoir, voit sa souffrance et son mal et tous les rejets de sa vie être saisis dans le Christ. Son plongeon vers la rivière, qui se voulait un véritable saut dans la mort, devient une immersion dans la Vie. En le Christ, qui a pris sa mort, le voilà baptisé, saisi dans un Amour inattendu et inespéré. Il est foudroyé par cet éclair d’Amour qui illumine tout son être et, soudainement, tout l’horizon de sa vie.  Ce jeune qui ne savait plus où aller, ni ici ni là, qui croyait tout perdu et qui était déprimé jusqu’à vouloir tout perdre en plongeant dans l’abîme d’une vie qui a goûté la mort depuis si longtemps, voilà qu’il est uni, par pure grâce et par pure miséricorde, au Fils qui a accepté de perdre sa vie pour lui.  Le geste de perdition du jeune, uni à ce Jour de l’Homme, devient une expérience de salut et de résurrection.

Et ici je ne fais pas l’apologie du suicide, je rappelle seulement que le Fils de l’Homme a accepté la Croix pour « sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 10) ou, selon sa promesse au Père, qu’Il « ne perde rien de tout de tout ce que (le Père) lui a donné » (Jn 6, 39). Je fais donc l’apologie, en fait de l’Amour, car « entre le pont et la rivière, il y a l’infini de l’Amour de Dieu ».

Alors ne désespérons pas ! Même quand survient un geste si désespéré comme le suicide, un perdre sa vie qui nous semble si absurde, Jésus embrasse la désespérance afin que, même là ou ici, la Vie puisse triompher et qu’aucun.e ne soit perdu.e. Même au cœur des souffrances les plus extrêmes, l’humain saute de Dieu à Dieu et retrouve ainsi l’humanité qu’il a, malheureusement, perdue et abandonnée. Quelle folie de Dieu que nos fausses voies pour perdre notre vie trouvent rédemption dans le perdre sa vie de son Fils!

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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