Méditation : Pur don ! (No 65 – série 2022-2023)

Image par nightowl de Pixabay

Évangile du Mardi 8 novembre 2022 – 32e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir » Lc 17, 7-10

En ce temps-là, Jésus disait : « Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »

Méditation

Comment résonnent en vous ce matin ces paroles de Jésus ?  Je dois vous avouer que cette parabole prononcée par le Serviteur par excellence qu’est Jésus m’a pas mal questionnée. Comment la comprendre ? Quel message désire-t-Il nous transmettre à travers ces 4 versets à peine ?

Ce qui ‘me dérange’ peut-être, m’étouffe même un peu, est ce qui semble, en filigrane de ces mots, qualifier la relation entre Dieu et l’être humain. Lui, comme Maître, et nous, comme serviteurs qui mettons à exécution ses ordres. « Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir” ». Dans la traduction qui nous est offerte de l’Évangile d’aujourd’hui, le mot ‘inutiles’ a heureusement été remplacé par ‘simples’. En cherchant un peu afin de mieux comprendre cette parole, je lis que l’adjectif – dans son origine grecque – signifie littéralement « qui ne relève pas d’une nécessité, d’un ‘il faut’ ». Il s’agit donc de serviteurs qui ne sont pas indispensables, ou qui ne le sont pas par nécessité ni à cause de leurs dettes, contrairement à tant de femmes et d’hommes du temps de Jésus qui n’avaient d’autre choix que la servitude. Est-ce vraiment cela que Jésus est venu nous dire ce matin ?

En méditant tout cela, je pense qu’une part rebelle s’est réveillée en moi! Rebelle contre l’idée que Dieu ne soit pour moi qu’un Maître qui me donne ses ordres pour vivre dans le monde. Rebelle aussi contre l’idée qu’Il puisse ‘se passer’ de moi (‘serviteur non indispensable’) ou de chacun de nous … Or, cette part qui se rebelle en moi vient me dire que Jésus, Lui, est justement venu à ma rencontre pour dévoiler dans toute son Humanité de Fils combien le désir du Père est que je vive – et que nous vivions – comme des fils et des filles bien-aimés.

Vous n`avez point reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions: Abba! Père! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.”

(Romains 8, 15-16). Rien que cette parole, ce murmure du « doux Hôte de mon âme », me fait reprendre une respiration profonde. Je retrouve le souffle divin qui, du plus profond de mon être, m’invite à déployer ma vie filiale.

« Vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions: Abba! Père! »  St Paul résume magnifiquement cette certitude ! Il l’écrit ici à la communauté des chrétiens de Rome, mais le répète dans tant et tant d’autres passages de ses lettres, comme LA Parole de vérité ! Elle seule nous libère de notre tendance à vivre dans la crainte, sous l’emprise d’un plus fort que nous, en victime – que ce soit entre nous ou même dans la relation à Dieu -. Non !, nous exhorte st Paul, nous n’avons pas reçu un esprit d’esclave, mais un esprit d’adoption. Nous sommes de la maison, nous pouvons appeler Dieu « Abba ! », qui signifie « Papa ! », avec toute notre capacité de tendresse!

Alors, si Dieu est Père pour moi, si la relation à laquelle j’ai été invitée depuis mon baptême est celle d’une intime filiation qu’Il tisse patiemment avec les fibres de mon humanité, … je ne ‘mérite’ rien. Tout m’a été donné. Le même apôtre Paul interroge ses frères de Corinthe : « Qui donc en effet te distingue ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Cor 4, 7).

Et si c’était celui-là le message que Jésus, en ce mardi matin, voulait nous transmettre? Lui qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mt 20,28), n’a aucun désir de nous enfermer dans une relation de servitude avec Lui et le Père! Bien au contraire ! Ce qui brûle le cœur de Jésus est de nous faire découvrir combien la relation à Dieu est d’une gratuité absolue.

L’Amour ne se compte pas – la Petite Thérèse le dit si bien dans une de ses poésies « Quand on aime on ne calcule pas » -, l’Amour s’est donné jusqu’au bout (cf. Jn 13,1) pour que nous vivions libres, en ressuscités, en vivants. Cet Amour, jamais nous ne le mériterons ! Il est pur don ! Il est d’une gratuité absolue, c’est-à-dire « donné sans que rien ne soit demandé en échange » – tel que le définit le dictionnaire.

Grandir, mûrir dans une relation de cette qualité nous est peut-être l’apprentissage le plus difficile. Notre cœur, dans les relations qu’il tisse depuis tout petit, s’est tellement mal habitué à devoir mesurer, calculer, se protéger, se défendre … Alors Jésus, aujourd’hui et chaque jour, avec une infinie patience, nous prend doucement par la main et nous (ré)apprend l’alphabet du cœur filial. « Abba,  je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Mt 11,25)

« J’ai lu beaucoup d’essais de philosophie. Il m’a semblé que ces écrits prenaient plaisir de compliquer terriblement la vie en nous étalant des idées nouvelles qui viennent troubler le chemin de la foi. Actuellement la vie se dessine devant moi dans une grande simplicité. Celui qui croit que la vie est compliquée, c’est à cause de son orgueil. Celui qui vit avec la simplicité d’un cœur d’enfant trouve la vie tellement plus belle ! »[1] Celui qui a écrit ces mots est le docteur japonais Takashi Nagaï (1908-1951), un médecin spécialisé en radiologie, converti au catholicisme, survivant du bombardement atomique de Nagasaki et écrivain. Resté veuf, il a survécu à sa femme Midori quelques années, accompagnant ses deux jeunes enfants jusqu’à sa mort des suites d’une leucémie. Dans le livre qu’il a laissé à Makoto et Kayano, il leur écrit : « Mes chers enfants, n’oubliez jamais l’enseignement de Jésus : “Si vous ne devenez pas semblables à de tout petits enfants vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu”. La foi doit être vécue avec un cœur de tout-petit. La religion ne sera jamais comprise si le croyant ne garde pas un cœur d’enfant. »[2]

Ce papa pétri de la bonté et de la paix de Dieu, témoin de la joie filiale de l’Évangile, avait demandé que, sur sa tombe, soit inscrit ce verset 10 du chapitre 17 de St Luc : Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. J’ai eu la chance de pouvoir me recueillir là, dans le cimetière de Nagasaki[3], demandant par l’intercession du Docteur Nagaï la grâce de garder ce cœur de tout-petit … On était en novembre, un rosier sauvage fleurissait sur la tombe de Midori et Takashi.

Laurence Vasseur


[1]Takashi Nagaï, La colline fleurie. Texte cité dans le livre Prier 15 jours avec le Docteur Nagaï, p.73-74.

[2] Takashi Nagaï, Chers enfants. Idem, p.75.

[3] En 2008, lors de la béatification de 188 martyrs,  https://missionsetrangeres.com/eglises-asie/2008-12-01-188-martyrs-japonais-du-xviieme-siecle-ont-ete/

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