Évangile du Mercredi 2 novembre 2022 – Commémoration de tous les fidèles défunts 31e semaine du temps ordinaire (tiré de Aelf)
« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » Mt 5, 1-12a
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité;
j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’ Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’ Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ;
j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’ Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’ Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’ Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Méditation
Magnifique parole aujourd’hui sur les bras tendus et les bras croisés. Une parole qui révèle la dynamique du Royaume en réponse à la vulnérabilité, celle au fondement du monde.
Quand Jésus parle des petits que sont les affamés, les assoiffés, les dépouillés, les affectés et les enfermés, ils désignent bien sûr la précarité de certaines situations et la fragilité de certaines conditions. Mais puisqu’il nous hisse toujours sur le fil tressé de la chair et de l’Esprit, il parle sans doute aussi de la puissance du divin au cœur de notre humanité. La vulnérabilité se dissimule certes sous forme d’un malheur qui survient, elle est aussi sensation à la fois commune et singulière, « je me sens vulnérable ». Elle est encore intériorité, une connaissance en deçà du rationnel, une intimité forgée au feu de la dépendance, de la peur et du néant. Une capacité bourrée d’impuissance.
La capacité d’être blessé. Trop présente et trop vraie pour être regardée en face comme un soleil qui illumine et brûle la rétine qui le contemple. La capacité donc d’être ouvert sans comprendre, d’être effracté. Le philosophe Emmanuel Levinas, articule même la vulnérabilité à la maternité où celle-là est puissance de fécondation, d’engendrement, de naissance hors de la raison parce qu’elle est ce qui rend possible les relations vraies, transparentes, non fardées. Celles où s’insèrent le cri et la dépendance. C’est tout le sens du Verbe qui s’est fait chair, Parole Toute Autre qui donne la vie, en relation et en vérité. Non pas une miséricorde isolée, métaphysique et indifférente mais bien un Dieu tout proche, tout humain. L’Amour fait chair exposé au mépris, bafoué et crucifié. Je l’écris et j’ai de la difficulté à y croire : nous avons crucifié l’Amour et nous répétons ce geste à chaque jour.
La vulnérabilité n’est pourtant pas la faillibilité, elle n’est pas la faiblesse qui implique nécessairement la chute ou le péché. Elle est ce qui rend la relation possible, sensibilise, humanise. Le péché, c’est de se croire invulnérable ou désavouer sa vulnérabilité, se rendre insensible parfois jusqu’à l’inhumanité. Pourtant, que d’efforts actuellement déployés pour contrer la vulnérabilité, l’endormir, l’enfouir, l’ensorceler. Si Dieu trinitaire s’est fait chair, devint sensible en assumant sa vulnérabilité jusqu’à la croix et que l’humain est façonné à sa ressemblance, alors n’est-il pas étrange que la vulnérabilité soit perçue négativement, qu’elle soit jugée contraignante ou bonne à éliminer ? C’est plutôt l’insensibilité et son étanchéité qui retient le mal, surtout celui sans gravité, le banal. Le contenu du péché perd son importance. C’est le refus de Sa présence en la nôtre. C’est le refus de l’abaissement, de se laisser toucher par la petitesse qui tisse notre condition humaine partagée et qui pourtant fait la grandeur du divin. Nier cette grandeur, la rendre médiocre ou sans importance, la traiter comme banalité. Contourner l’homme par terre, se détourner d’un visage sale qui vous fixe. Une insensibilité qui protège et s’inscrit dans une souffrance à tout prix, bannie. Qui contrôle dans un rapport technocratique et froid au monde. Qui sécurise à l’aide d’un paternalisme étouffant, qui revêt d’insouciance le manque d’intégrité : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim et être nu sans nous mettre à ton service? » Seigneur, personne ne nous a pourtant rien demandé et nous ne savions pas que tu étais là, au creux de toutes ces vulnérabilités.
Le re-connaître vulnérable, n’est-ce pas s’adresser à cet enfant blessé en nous qui est trace d’amour indélébile et chemin du Dieu vivant ? Le visage de cet enfant blessé, ce visage sali, n’est-ce pas celui qui transparaît dans tous ceux que l’on croise en accompagnement ? Êtres blessés, balafrés, c’est par notre béance, notre puits, que Dieu nous appelle à puiser à pleines mains notre humanité jusqu’à le rejoindre dans son abaissement, jusque dans la splendeur de la crèche. Assumer S(s)a vulnérabilité sans contrition comme renaître dans une mangeoire. C’est la célébration de la vie plantée dans nos plaies qui permet de tendre les bras. Nouveau-né, bras tendus, interdépendance, voilà ce qui co-crée le Royaume et le dynamise, l’extirpe de son abstraction de pur concept eschatologique. C’est avec les bras chargés de cet héritage déjà donné, que nous témoignerons lors du jugement présidé par les petits et les derniers. Entouré d’enfants au visage étincelant et balafré, solennel comme toujours, le poète Charles Péguy nous murmurera dès notre arrivée, en pointant vers la gauche :
“Parce qu’ils ne sont pas blessés ils ne sont pas vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramasse. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuie d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé, ne sera jamais ramassé; et celui qui n’est pas sale, ne sera pas essuyé” (Œuvres en prose T. II, 1961).
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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