Méditation : Encombrante humilité (No 52 – série 2022-2023)

Évangile du Mercredi 26 octobre 2022 – 30e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« On viendra de l’orient et de l’occident, prendre place au festin dans le royaume de Dieu » Lc 13, 22-30

En ce temps-là, tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant. Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Jésus leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes.” Alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.” Il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.” Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »

Méditation

Une porte étroite appelle sans doute un portier dont l’abaissement en fait un grand homme, un saint. Avec ce magnifique passage de l’Évangile, je ne peux manquer de méditer en compagnie du saint Frère André, membre de la congrégation de Sainte-Croix. Congrégation dont le centre le Pèlerin est l’une des œuvres.

À l’étroit dans la vie, Alfred Bessette est orphelin à 12 ans et cumule les travaux pénibles, les ballottements, une éducation inaccessible ainsi qu’une santé chancelante. Petitesse dirions-nous aujourd’hui, plutôt une pauvreté qui révèlera une richesse insoupçonnée dépassant toute frontière, à l’orient comme à l’occident de l’époque. Accueil, humilité, guérison. Humilité, accueil, guérison. Le frère André nous apprend comment les derniers sont effectivement les premiers. Et comment, une fois devenu premier, il a maintenu la fragilité du dernier afin d’accueillir les éclopés, les désespérés, les rejetés, ces derniers des derniers.

De facture paysanne et ignorant novice chez les frères, on lui confia la porte du collège pour des jeunes bien nantis, des enfances à mille lieux de la sienne. Un pied en dehors, un pied en dedans, le frère André n’aura été qu’accueil et prière, il aura ouvert la porte à ceux qui n’étaient pas les premiers attendus. Ni élèves ni parents ni clercs. Bientôt, il guérit un frère souffrant puis un élève fiévreux, bientôt le collège est envahi de personnes qui affluent et confient leurs maladies à ses prières. Le petit frère leur propose de se frictionner avec quelques gouttes d’huile d’olive qui brûlait devant la statue de saint Joseph. Il leur propose quelques gouttes d’abandon, un millilitre de confiance donnée en ce Père Joseph qui veille auprès de ceux dans le besoin. Se frictionner c’est se frotter énergiquement, mettre en effervescence, c’est la mise en foi. Autrefois, on administrait la friction pour nettoyer, comme on fait vérité dans l’épreuve en se frottant contre ce qui nous paralyse, en se frottant à nos faux credos.

Sur le pas de la porte étroite du prestigieux collège qu’il n’aura pas lui-même franchie, sa sainteté se révèle. Une sainteté qui sent fort le dehors et le dénuement, entre accueil de la vulnérabilité et l’humilité incarnée. Bientôt les autorités religieuses et sanitaires se plaignent d’une sainteté aussi encombrante, une sainteté avec l’allant d’un charlatan. Repus, enseignés, suspicieux, ces premiers installeront le petit frère illettré et ses éclopés, en face, dans un arrêt de tramway. Les guérisons se succèdent, les miraculés remonteront dans le tramway. Le portique est devenu arrêt de tramway qui est devenu chapelle puis basilique et enfin oratoire au rayonnement planétaire. Une porte étroite, une porte qui s’ouvre, un être petit, des millions de libertés libérées. En 1909, le frère André reçoit 24 745 lettres dont 112 lui annonçant des guérisons. À sa mort le 6 janvier 1937, plus d’un million de personnes affluent sur le Mont-Royal, 125 000 guérisons lui sont attribuées à ce jour.

Ni évêque, ni vierge ni martyr, le saint frère André se disait le « commissionnaire de saint Joseph », c’est-à-dire celui qui porte les messages et les bagages, qui fait « les commissions » comme on dit au Québec. Il se désolait de se voir attribuer un don de guérison. En méditant avec lui, je m’émerveille de ce terme… « co-missionnaire ». N’est-ce pas là ce à quoi nous sommes appelés en accompagnement spirituel ? N’est-ce pas là une dimension fondamentale de la posture de l’être-accompagnateur ? Être co-missionnaire, c’est participer à la transformation mutuelle et perpétuelle, à la conversion, au contact de l’altérité et de l’accueil en soi et en relation. C’est laisser passer les messages de Dieu laissant l’amour habité notre regard posé sur l’accompagné.e. S’effacer pour laisser passer le Souffle qui vitalisera une relation à l’intimité improbable, c’est goûter à l’amitié du Christ comme un chemin, à l’enfance proposée par le Père comme une sainteté. Faire les commissions de Dieu, c’est encore rendre le fardeau plus léger, aider au dépôt du bagage, l’ouvrir et l’explorer avec émerveillement, bonté et considération. Du bagage au tombeau, du tombeau à la demeure intérieure, de la demeure au Royaume nouveau et pacifié. Être co-missionnaire, c’est encore témoigner de l’approfondissement de l’accompagné.e, de la nouveauté de cet autre que j’accompagne et qui me fait naître en relation. Nos accompagné.es savent-ils ce don de Dieu qu’ils sont, savent-ils qu’avec quelques gouttes d’huile d’olive, ils nous évangélisent ? Ensemble nous sommes à la fois mission, communion et contemplation ? Ensemble nous sommes une porte qui s’ouvre sur le Christ ressuscité, ensemble dans notre relation, nous veillerons à la laisser ouverte sur le monde, pour le monde.

De mon bureau au centre le Pèlerin, je vois le portique du collège, je vois l’arrêt du tramway. Un peu plus loin, je vois la chapelle du frère André puis l’oratoire. Je vois que du trop petit bagage trop lourd et déposé un jour est née une basilique, que de l’humilité et de l’accueil naissent une liberté cathédrale, une guérison sanctuaire. Que la porte soit étroite importe peu, c’est dans sa plus infime ouverture que surviennent les miracles.

Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)

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