Évangile du Mercredi 5 octobre 2022 – 27e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Seigneur, apprends-nous à prier » Lc 11, 1-4
Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour. Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. »
Méditation
Apprendre à prier, qui n’a pas déjà fait cette demande ! De la part des disciples juifs, voilà qui n’est pas banal. En effet, dans la tradition juive, l’acte de prier est commandement, nul n’est censé ignorer comment prier. Séquencée tel un itinéraire spirituel : louanges-demande suppliée-bénédictions, la prière juive s’effectue trois fois par jour pour remplacer autant de sacrifices. En direction du Temple détruit, la prière s’est au fil de la diaspora codifiée, normée et ritualisée afin de se perpétuer, de résister dans la mémoire et l’exil. Dans sa transmission, le rite rigidifie parfois jusqu’à la crispation. C’est qu’on ne veut rien oublier quand tout s’efface. Mais la prière de Jésus et celle du cousin Jean ne s’apprend pas, elle s’incarne. Elle peut donc être désertée, oubliée et devenir un rituel évidé de son vivant.
« Apprends-nous à prier comme Jean le Baptiste l’a appris, lui aussi, à ses disciples ». Il est encore question de transmission mais radicalement différente. Jean le Baptiste, celui qui tressailla de joie dans le ventre de sa mère lorsqu’il rencontra Jésus, le cousin-messie à naître. Celui dont la naissance rendit la parole à son père Zacharie, croyant désormais en la fécondité aussi divine que déraisonnable. Jean Baptiste, celui qui sortit du Temple où officiait encore son père pour aller, sauvage, de par le monde. Enfant sauvage qui déroge aux normes sacerdotales et plonge nu dans le Jourdain, Jean sera celui qui montre et rend présent. Sans doute est-il le dernier prophète car lorsqu’il pointa l’index vers Jésus, il n’était déjà plus annonce. Dernier à transmettre, premier à révéler. Il a aboli toute distance en baptisant Jésus, il a contracté toute l’attente du monde emmagasinée depuis des millénaires, il l’a encapsulée dans l’espérance nommée Jésus. Par l’eau et l’Esprit, il a rendu visible le sacrement qu’est Jésus. Le Royaume annoncé est un déjà-là toujours à venir, il est la personne du Christ, en nous et par nous.
C’est ce formidable raccourci dans la distance et le temps, dans le lien à Dieu et à l’eschatologie qui sera enseigné par la prière « à la manière » du Baptiste. La prière n’est plus adressée aux pères immémoriaux que sont Abraham, Isaac et Jacob mais à Papa qui est ici, maintenant, avec vous et moi. La prière n’est plus confinée au Temple. Située dans les profondeurs et la liberté du Je, temple de chair, elle s’adresse à un Roi qui est partout dans le bleu des cieux, au-dessus des têtes comme au fond des coeurs. Une espérance libérée de sa distance, comme un enfant de retour et qui nous habite avec nouveauté étrangère. Chaque prière, chaque Notre Père, renouvelle cette espérance. Elle est un instant où notre Père refait du neuf avec à partir du sali, où il lave nos pieds et nous élance pour un règne de paix et une volonté joyeuse. Nouveauté et altérité incessantes qui tournoient en nos mains jointes, Dieu ne peut être fixé, ni idolâtré ni désincarné. Son intimité, entre surgissement et saisissement, entre la soif et le souffle, ne se reconnaît qu’à son mouvement. Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite, donne-nous, pardonne comme, ne nous laisse pas entrer…
Un Dieu qui reçoit nos ordres, un Dieu impératif qui n’a jamais su n’être qu’un dieu. D’ailleurs, aucun dieu ne reçoit d’ordre d’un enfant, aucun dieu ne lave des pieds et tend les bras pour serrer sa créature contre lui, aucun dieu ne se penche et se courbe sous le poids de l’humanité. Pas de piédestal ni de socle, Dieu est l’impérieux Très-Bas, souffle violent d’espérance en nous quand nous prions, quand nous nous adressons à notre Père à partir de notre pleine part d’enfance, cette part divine et inaltérée. La prière de Jésus, à la manière du Baptiste, est cette contraction entre l’enfance et l’espérance, entremêlées comme la chevelure d’une petite fille sauvage. Petite fille sauvage en chacun de nous, hirsute comme le Baptiste, insaisissable comme le Christ, une telle prière dérange ce qui est enlisé, secoue le conditionné, insuffle la vie dans l’engourdi. La prière à la manière de Jésus, relève et renvoie la personne à elle-même, à sa sainteté, comme une royauté qui veut vivre en elle et hors d’elle : « Que ton règne vienne ». La petite fille, à la fois reine, sainte et prière, appelons-la Espérance, c’est encore l’appel à l’universalité et à l’ouverture condensées. Celle de Jean qui invite sans distinction à se faire baptiser, celle de Jésus à la table avec des collecteurs d’impôts, des femmes adultères et des infirmes. Le « Notre Père » de la prière, c’est le « nôtre » des autres, même de ceux qu’on ne veut pas, et peut-être, surtout, de ceux qu’on ne voit pas. Des enfants sauvages aux dix lépreux en passant par mon chemin de vie blessé, Notre Père est regard amoureux, déjà attablé. Il est le ciel tissant la Création et le firmament de toutes intériorités.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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