Évangile du Mercredi 28 septembre 2022 – 26e semaine du temps ordinaire (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Je te suivrai partout où tu iras » Lc 9, 57-62
En ce temps-là, en cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. » Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu.»
Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »
Méditation
Perdition de Dieu, Dieu de perdition. Cet extrait invite non pas à méditer la perte mais le large. Le saisissement d’Abraham à la vue du vent qui se lève dans un désert de repères, le frémissement de Noé à la vue d’un ciel bleu marin qui s’enfonce dans une mer sans fin, sans fond. Nous dissertons sur la désertion de Dieu en nos vies, peut-être est-ce plutôt nous qui refusons dorénavant de nous perdre en Lui ?
Quitter ses certitudes et la sécurité qui enserre comme on quitte sa mère. Quitter la patrie de ses conditionnements et le parfum capiteux de son mourant, quitter ses attachements comme on quitte un père à demi enterré. Quitter, larguer, pour aller se perdre avec un Christ Dieu qui n’a même pas d’endroit où reposer sa tête. L’exode est la nature même de Dieu.
Lorsqu’on quitte, il n’y a que retournement et conversion, on ne quitte pas en reculant. On ne quitte pas avec des « mais » ni pour regarder en arrière. Quitter pour partir…partir parce qu’on se croit perdu… suivre pour mieux se perdre. C’est l’histoire de nos êtres-paroles, l’exil de nos égos qui s’enrichissent à profusion de l’humilité de l’Autre. Quand Dieu donne quittance à mon être, il libère ainsi sa parole de Vie. C’est aussi l’histoire de cette brebis qui quitte le troupeau et qui se perd. C’est en se perdant elle-même qu’elle est allée à la rencontre du berger. Lui, le seul berger qui se serait lancé à sa recherche, laissant là tout le troupeau. Lui aussi a quitté. Il a quitté la multitude des idoles qui peuplent mon croire, il a quitté le troupeau qui piétine ma foi. Peut-être s’est-il même perdu en la cherchant, peut-être était-il fou d’inquiétude en l’appelant, en criant mon nom à travers champ ? L’histoire ne le dit pas, mais il y a de la perdition dans ce Dieu. Il est venu pour les perdus et pour ceux qui consentent à tout perdre. Appelés par leur nom, l’apôtre, la brebis et la pèlerine l’ont alors suivi.
L’apôtre a vu son nom briller dans la couleur glorieuse du ciel. La pèlerine est inlassablement trouvée en sens inverse, perdue de joie traversant un Royaume. Autant l’apôtre que la brebis et la pèlerine ne se sont pas sauvé, ils ont quitté, famille, troupeau et autre château de sable. Ce qui les a poussés à partir, c’est l’appel de l’errance et la portance, cette force verticale de Dieu qui tient debout et qui transporte. Errance, portance, ces mots qui mettent en chemin et en don notre être-parole, des mots heureusement englués de transcendance. La beauté profonde et féconde de notre mouvement de vie ne peut venir que d’ailleurs, que de ce qui nous déborde et nous emporte. Peu importe la destination, l’apôtre, la pèlerine et la brebis cheminent confiants dans le souvenir d’Abraham et dans l’espoir de Noé. Suivre de tout notre coeur le Christ, marcher le Royaume. Le chemin est Royaume.
Quant à la brebis-reine, elle est devenue annonce. D’ailleurs, de toute cette histoire, on ne retient qu’elle. Sa dignité démesurée qui envoie paître un troupeau entier, dans un indistinct bêlement, dans une espérance impensable.
« Toi, pars, et annonce… », dans ces quatre mots se condense tout le cheminement spirituel que nous sommes appelés à vivre pour entrer dans notre Être-Parole, cette identité marquée du sceau divin, annonce vivante du Dieu vivifiant. Parole d’une liberté libérée, pleine de large et de vaste. Une invitation personnellement reçue, à errer en confiance, n’est-ce pas là le sens profond de l’accompagnement pèlerin. Errer en confiance pour ressentir l’accueil du regard, pour explorer notre friabilité, pour se désaffilier, s’ouvrir à l’Esprit, plonger dans le Christ afin de communier à sa parole. Après chaque accompagnement, ne subsiste souvent qu’une parole amoureusement donnée, une parole qui mendie pour être tenue, une parole foulée sous nos pieds comme le sillon d’une croix traînée. Sa parole qui nous saisit et nous échappe.
Sa parole me retourne, charrue labourant ma terre sacrée, pour me faire regarder vers le ciel, vers le Très Haut, à travers les regards perdus d’Abraham et de Noé. Des déserts brûlants au cœur de mes terres humides de résurrection, Seigneur donne-moi la force de l’errance pour te suivre partout où tu iras, celle de la portance pour que tu puisses reposer ta tête en moi.
Je termine la méditation avec ces quelques mots priant de la poétesse mystique Marie Noël. De l’appel à l’abandon, elle ramasse l’essentiel de l’accompagnement spirituel. Ses paroles vivantes chantent dans l’oreille des apôtres-brebis de notre extrait d’Évangile, ces assoiffés de « ces temps-là » et de maintenant.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
Père, porte mon âme en son insouciance
Jusqu’où tu veux et qu’elle dorme dans ta main
Sans demander le sens et le but du chemin.
Qu’elle soit, n’ayant plus ni dessein ni science,
Légère, détachée et joueuse au réveil
Comme les moucherons qui dansent au soleil.
(extraits À Prime, Les Chansons et Les Heures, 1935)
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