Évangile du Mercredi 14 septembre 2022 – Croix glorieuse (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)
« Il faut que le Fils de l’homme soit élevé » Jn 3, 13-17
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Méditation
Avec la Samaritaine, le récit de Nicodème est sans doute l’une des plus belles pages de théologie de la Bible. Après le don et la soif proposés par le Dieu de Jésus à une Samaritaine aux cinq maris en plein midi, Dieu récidive en invitant de nuit un pharisien, rien de moins, à naître à nouveau, à naître d’en haut. Le mot grec anôthen, étant l’adverbe de naître, Nicodème est invité à naître « d’en haut », « du ciel » ou « depuis le commencement » dans son sens temporel. Naître depuis le commencement, comme une double naissance, co-naître. Pas étonnant que le récit souligne la confusion de Nicodème qui peine à comprendre la foi. Non pas comprendre mais connaître. Le dictionnaire nous éclaire « connaître », c’est savoir en vivant, avoir la révélation de, discerner. Connaître c’est saisir et être saisi, c’est ainsi que Dieu se fait connaître pour être reconnu.
Lors d’un voyage en voiture, le théologien et mystique Maurice Zundel aurait confié avoir saisi que Dieu était la vie spirituelle hypostasiée, c’est-à-dire La vie spirituelle faite personne. Connaître Dieu, la substance spirituelle de la vie. Co-naître avec elle, en moi et hors de moi, au creux d’une altérité qui m’habite depuis le commencement et que j’habite, qui n’est pas moi mais qui fait partie de moi. Une altérité, un Tout Autre, qui s’épanouit à même mon identité sans s’y confondre. Un Tout Nouveau qui m’altère et fissure l’égo. J’en recueille les éclats, des pépites de grâce et des morceaux de renoncement. Comme Nicodème, je suis attachée au savoir, inutile de prudence et je me glisse parfois dans mes nuits de suffisance. Le Tout Amour pourtant demeure, là. Sa liberté creuse ma conscience, fore mon intérieur, me lave les pieds, densifie la vie tout en me dépouillant.
Mon témoignage distrait sans doute Nicodème qui écoute attentivement le Maître, mais ne voit toujours pas comment cela pourrait se faire ? Comment croire et connaître au fond ?
L’invisible doit être reçu pour être connu, puisqu’il ne peut être vu. L’invisible ne peut donc être que témoigné pour être reçu et le témoignage est de l’ordre du croire. Voilà qui me rappelle un débat célèbre entre le théologien mathématicien John Lennox et le biologiste farouchement athée Richard Dawkins qui affirmait que la foi en Dieu était déraisonnable voire farfelue. Lorsque Lennox a demandé à Dawkins, s’il croyait que son épouse était bien à la maison durant le débat plutôt que dans le lit avec son collègue universitaire, l’athée a dû admettre qu’il avait foi en son épouse car il la connaissait et lui faisait confiance. La connaissance de Dieu est la connaissance d’une personne à travers les personnes. Assise devant la personne aidée, en accompagnement spirituel, je fais implicitement la promesse de croire en son témoignage et d’emprunter son regard pour l’aider à naître à elle-même, à se connaître à travers ce qu’elle me révèle d’elle et de Dieu en elle. De la même manière, croire, c’est donc participer au connaître Dieu qui me fait la promesse de voir le monde comme lui. Croire c’est vivre, c’est incarner la promesse de Dieu.
Dans le passage de l’évangile d’aujourd’hui, Jésus, en réponse au « comment » de Nicodème, se révèle parole de vie et promesse d’amour de Dieu. Il prend Nicodème à témoin. Au risque de la kénose, ce Dieu qui prend chair et se fait Fils de l’homme pour descendre jusqu’à nous en sa personne, Jésus annonce la Passion, son sacrifice et sa résurrection. Renversant la croix, ce symbole du mal jugé, il la relève au-delà du don de sa vie, le don par-delà du don. Ce par-don appartient à l’amour et l’amour c’est ce qui déborde. Dieu est le grand débordement, il est surplus de bonté et d’hospitalité en la création. Il se donne et se communique par l’amour, en nos relations. Il est ce surplus qui vivifie l’existence et la tisse dans la toile du créé. Il est cet Amour qui nous saisit personnellement et rend la vie vivante, il l’étire et l’éternise. L’Amour, même cloué sur le bois, terrasse la mort, les petites comme la grande. Traverser les ravins de nos samedis saints, pleuvoir sur nos déserts d’espérance, pleurer nos moments d’inhumanité. Il promet de nous relever et de nous élever jusqu’à lui, vers la vie vivante qui fait la gloire de Dieu comme disait saint Irénée. À ne pas en douter, c’est l’Amour qui sauvera le monde, le rendra libre, le rachetant de ses esclavages, de ses injustices, de ses inégalités.
Comment cela pourra-t-il se faire ? Nicodème me sourit avec la tendresse de celui qui sait qu’il ne sait rien. Défendant Jésus lors de son procès, ensevelissant son corps au soir de la crucifixion, Nicodème connaît désormais la réponse. Une réponse comme un appel, toujours.
Cela pourra se faire parce que la liberté ne se vit que dans l’engagement de la promesse.
Barbara Martel (bmartel@lepelerin.org)
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