Méditation : Le savoir qui aveugle (No 173)

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Évangile du Vendredi 1 avril 2022 – 4e semaine de Carême (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« On cherchait à l’arrêter, mais son heure n’était pas encore venue » Jn 7, 1-2. 10. 14. 25-30

En ce temps-là, Jésus parcourait la Galilée : il ne voulait pas parcourir la Judée car les Juifs cherchaient à le tuer. La fête juive des Tentes était proche. Lorsque ses frères furent montés à Jérusalem pour la fête, il y monta lui aussi, non pas ostensiblement, mais en secret.
On était déjà au milieu de la semaine de la fête quand Jésus monta au Temple ; et là il enseignait. Quelques habitants de Jérusalem disaient alors : « N’est-ce pas celui qu’on cherche à tuer ? Le voilà qui parle ouvertement, et personne ne lui dit rien ! Nos chefs auraient-ils vraiment reconnu que c’est lui le Christ ? Mais lui, nous savons d’où il est. Or, le Christ, quand il viendra, personne ne saura d’où il est. » Jésus, qui enseignait dans le Temple, s’écria : « Vous me connaissez ? Et vous savez d’où je suis ? Je ne suis pas venu de moi-même : mais il est véridique, Celui qui m’a envoyé, lui que vous ne connaissez pas. Moi, je le connais parce que je viens d’auprès de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. »
On cherchait à l’arrêter, mais personne ne mit la main sur lui parce que son heure n’était pas encore venue.

Méditation

Le texte d’aujourd’hui continue à nous plonger dans la teneur des vives discussions autour de l’identité de Jésus. Cette ambiguïté fondamentale sur Sa vraie identité traverse de bout à l’autre les évangiles. Jésus lui-même avait soulevé cette question avec ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » (Mt 8, 27). Parfois, c’étaient les apôtres qui se questionnaient sur l’identité de leur maitre : « Qui est-il donc, celui-ci, pour qu’il commande même aux vents et aux flots, et que ceux-ci lui obéissent ? » (Mt 8,25). Jean nous affirme que la connaissance du Christ reste la clé qui ouvre à la Vie éternelle, « or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3).

Connaitre une personne c’est reconnaitre la source de son être. Lorsque Jésus s’est exclamé dans le Temple : « Vous me connaissez ? », Il a ajouté : « Et vous savez d’où je suis ? Je ne suis pas venu de moi-même ». Pour Lui, connaitre c’est reconnaitre qu’il faut venir ou advenir d’un Autre, c’est remonter à la Source de l’être et son origine en Dieu.

Malheureusement, très souvent nous savons beaucoup de choses sur l’autre mais nous ne le connaissons pas vraiment, « Ce qu’on sait de quelqu’un empêche de le connaître » (citation de Christian Bobin). Que de fois, nous emprisonnons l’autre dans ce qu’on pense savoir de lui(d’elle) et de son histoire, nous l’enfermons dans des étiquettes préfabriquées et nous ne sommes plus capables d’apprécier son identité unique et sa vraie valeur. Lorsque notre regard s’habitue à ne voir que de l’extérieur, nous devenons aveugles à la beauté intérieure; nous vivons alors les uns à côté des autres mais nous ne reconnaissons plus l’humain en l’autre et moins encore Dieu.

« Mais lui, nous savons d’où il est ? » Pour les gens de Son époque, Jésus était le charpentier, fils de Marie et de Joseph, gens modestes de la ville de Galilée. Les auditeurs de la synagogue pensaient trop connaitre Jésus pour Le reconnaitre. Ce Dieu était tellement humain qu’Il était méconnaissable; c’était inconcevable de reconnaitre en Lui la visibilité de l’ineffable. Pire encore, dans la démarche du complot contre Lui, Jésus était celui qui ne respectait pas la lettre de la loi ni le sabbat, c’était un ivrogne et un glouton, un hérétique et un samaritain, celui qui avait refusé de lancer la première pierre à la femme pécheresse; Jésus, sans grand titre reconnu à l’époque, osait confronter les docteurs et les détenteurs du savoir et du pouvoir. Voilà comment Lui, le passionné de l’humain, le vrai homme et le vrai Dieu, le sans péché qui est venu par amour nous sauver, est devenu le plus recherché des criminels ! Quel paradoxe terrifiant !

Plus de deux millénaires plus tard, nous aussi, qui pensons savoir trop de choses sur l’homme et sur l’univers, ne sommes plus en mesure de reconnaitre ni l’humain ni Dieu dans cet univers. Nos sociétés modernes, fières de leurs avancées scientifiques et technologiques, sont devenues aveugles de leur prétention du savoir, de leur vanité des compétences et ont perdu la conscience de ce qu’est l’être humain dans son essence.

Qui est Jésus ? Sommes-nous capables vraiment de saisir Sa vraie identité ?

Dieu échappera toujours aux investigations de notre intellect humain. Saint Jean de la Croix disait : « Regarde-le, celui en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés. Regarde-le humanisé et tu y trouveras plus que tu ne penses »

Regardons-Le monter à Jérusalem, contemplons-Le, cet Homme-Dieu en éternelle marche vers ses ennemis, en éternelle agonie de nos refus et de nos souffrances et qui va jusqu’à supplier le Père de « leur pardonner car ils ne savent ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Imbibons notre regard dans Celui qui est ému jusqu’aux entrailles devant la détresse de la foule, la souffrance des malades, les larmes des éprouvés…

Devenons semblable à Celui qui marche vers Sa condamnation sans la moindre haine dans le cœur, qui chemine au milieu de tant de méchancetés avec un cœur libre, paisible, serein, habité par le Père, incarnant la Vérité avec grâce et amour.

Le reconnaissons-nous ? Ce Fils éternel en Dieu qui marche pour nous révéler Son Père, qui marche pour qu’en nous, puisse circuler la vie divine.

Afin de nous libérer de ce drame continu du savoir qui nous rend aveugle spirituellement et intérieurement, nous avons besoin de réinitialiser notre regard et notre cœur afin de réapprendre à reconnaitre l’A(a)utre; nous avons besoin de retourner au point zéro de la foi, comme nous le dit le Père Simon-Pierre Arnold dans sa retraite de carême[1].

Osons cette remise à neuf de notre regard, afin de saisir la plénitude de vérité et de gratuité chez le Christ, Sa Présence filiale au sein de notre humanité, qui n’est autre qu’une relation ininterrompue avec Son Père et notre Père.

Osons se laisser surprendre par le mystère d’un Dieu qui est en même temps inaccessible et proche, invisible et incarné.

Dans le silence de notre être, lorsque tous les mots se taisent et tout notre savoir se retire, une relation mystérieuse du divin s’établira et nous fera goûter à une immense et incroyable sensation de Sa Présence.

Gladys El Helou


[1] https://www.lepelerin.org/portail/, Retraites, La nuit de Nicodème, retraite de carême 2022, avec le Père Simon-Pierre Arnold osb, moine bénédictin

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