Méditation : La blessure d’attachement et sa guérison (No 146)

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Évangile du Samedi 5 mars 2022 – Samedi après les cendres (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions

« Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent » Lc 5, 27-32

En ce temps-là, Jésus sortit et remarqua un publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts) du nom de Lévi assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » Abandonnant tout, l’homme se leva ; et il le suivait.
Lévi donna pour Jésus une grande réception dans sa maison ; il y avait là une foule nombreuse de publicains et d’autres gens attablés avec eux. Les pharisiens et les scribes de leur parti récriminaient en disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus leur répondit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. »

Méditation

Ce texte, racontant la conversion de Lévi et la fête qui s’en suit, trace un des drames les plus souffrants de notre époque, lequel a ses impacts dans l’Église et la société. Et ce drame tient dans l’étymologie du nom “Lévi”, qui signifie “s’attacher”.

Pourquoi est-ce un des drames les plus poignants ? C’est que, dans les siècles derniers, et encore aujourd’hui, le discours officiel a voulu nous faire croire que le nec plus ultra de la réussite et de la définition de l’humain est l’autonomie, conçue comme indépendance des autres. Au nom de cette autonomie, il nous a été dit qu’il fallait laisser les bébés pleurer, que nous devions absolument séparer les enfants rapidement des parents et les envoyer à la garderie, qu’il nous fallait abandonner dans les écoles les groupes-classe pour faire circuler les enfants d’une matière à l’autre afin qu’il n’y ait pas un groupe unique (créant un sentiment d’appartenance/dépendance), que le plus important était de faire de nos enfants des êtres “compétents” (avec des cours rédigés en termes de compétences), etc. Résultat : une crise relationnelle sans précédent dont la racine est la faiblesse de l’expérience d’attachement en bas âge.

Un enfant, sans une expérience significative d’attachement, ne peut apprendre la relation, ne peut se découvrir comme un être aimé, saisir que l’autre est aimable, reconnaître sa propre valeur et, ainsi, avoir le courage de devenir lui-même, en se séparant intérieurement d’avec ses parents (pour devenir lui-même et voir de l’autre exister en dehors de lui). Si l’enfant puis l’adulte n’a pas vécu une relation d’attachement ou de dépendance significative aux parents ou à ses proches, il cherchera des substituts à cette dépendance.

Lévi nous donne l’exemple d’un homme qui s’est “attaché” à l’argent; son amour et sa reconnaissance de lui-même passent par le substitut de l’argent et, ce faisant, son identité et sa joie reposent sur un substitut qui lui est extérieur. Si l’argent augmente, il s’aime et se reconnaît; s’il diminue, son identité diminue comme une action à la bourse. Il semble qu’il soit l’ancêtre de nos programmes éducatifs où ce n’est pas la personne qui a de la valeur en elle-même mais ce qu’elle possède et son niveau d’autonomie mesuré par sa réussite sociale et économique. Ce n’est pas non plus la relation aux autres qui est essentielle, où chacun.e existe dans la dignité de ce qu’il est, mais une relation “douanée” où chacun.e doit payer le prix et où le pouvoir, la domination et la supériorité sur l’autre donnent “d’exister”. Voilà un homme qui obtiendrait une haute note dans notre système éducatif.

Puis il y a les pharisiens et les scribes qui, eux non plus, n’ont pas appris à “s’attacher” aux personnes mais ont trouvé comme substitut à leur vide affectif les lois, les préceptes, les obligations, les “il faut que…” religieux. Ils n’invitent pas les fidèles à “l’attachement” à Dieu mais les veulent soumis à leur pouvoir religieux (ils ne peuvent enseigner ce qu’ils n’ont pas vécu). Et gare si on ne suit pas ! Ils auraient eu sûrement leur place dans une Église pyramidale qui a trop longtemps vécu non dans l’Amour mais dans la règle et ses jugements. Les abus sexuels dans l’Église sont l’expression de ce drame de “l’attachement” au coeur d’une société et d’une Église qui l’évacuent.

Dans la société ou dans l’Église, nous sommes donc témoins d’hommes et de femmes avec une profonde blessure d’ “attachement”, devenus ainsi des handicapés affectifs. Et qu’est-ce que Jésus nous demande ? “Suis-moi”.

Pour nous, blessés de “l’attachement”, nous interprétons malheureusement cet appel à partir de cette même blessure et nous avons cru et croyons, souvent encore, que “suivre” Jésus est accepté de s’effacer, de s’abolir, de perdre sa liberté, de refuser toute “attache”, de ne plus penser et se soumettre à l’A(a)utre… En fait, n’ayant pas vécu “l’attachement”, nous n’avons pas appris à exister et à être ce que nous sommes.

Mais ce “suis-moi” est, primairement ou prioritairement, un appel à “l’attachement”. Jésus nous dit donc : “Toi qui es blessé dans la relation d’amour fondatrice de ton humanité, viens apprendre de moi un Amour sans condition, un Amour qui te dit “tu as du prix à mes yeux”. Un Amour qui veut te permettre de t’aimer et de te reconnaître comme tu es, dans la beauté et la dignité de ton identité unique ! Un Amour qui veut aussi te poser dans la beauté et la grandeur de la relation d’altérité à l’autre et te redonner foi en la relation comme lieu possible et nécessaire de l’Amour ! Pour ce faire, Jésus nous dit : “Abandonne tou(s)” ces substituts extérieurs à toi-même pour “t’attacher” à Moi. Dans cet “attachement”, l’Amour que tu recevras te donnera le courage de vivre la séparation avec Moi pour devenir toi-même. Cet “attachement” à toi-même est la base nécessaire de “l’attachement” possible aux autres, et ce, en vivant avec Moi une dépendance nourrissante. Telle est la clef : “Aime ton prochain comme toi-même”.”

Aujourd’hui, comme Lévi, suivons Jésus sur les chemins de l’Amour. Et sur ces chemins, allons enfin vers nous-mêmes et vers les autres dans un Amour plein de différence et plein d’attachement ! Allons découvrir avec Lui le mystère de sa divinité et celui de notre humanité !

“Suis-moi…”

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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