Méditation : Le Temps réel (No 79)

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Évangile de l’Avent du Mardi 14 décembre (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Jean est venu : les publicains et les prostituées ont cru à sa parole » Mt 21, 28-32

En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.” Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »

Méditation

Dix jours à peine nous séparent désormais de la nuit de la Nativité ! Dans cette 3ème semaine de l’Avent, pourquoi le Seigneur nous propose-t-Il cette parabole des deux fils ? A première vue, on penserait plutôt à un passage à méditer pendant le Carême ! Les mots clés de cette parabole sont en effet un appel à la conversion[1] profonde : « se repentir », « croire en la Parole » et « faire la volonté de Dieu » qui, ici, se traduit par « aller travailler à sa vigne ».

            Le contexte de cet Évangile est celui du passage que nous méditions hier : « Jésus était entré dans le Temple, et, pendant qu’il enseignait, les grands prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent de lui et demandèrent : « Par quelle autorité fais-tu cela, et qui t’a donné cette autorité ? » (Mt 21, verset 23). Jésus se trouve donc en présence des grands prêtres et des anciens qui l’interrogent, cherchent à le « coincer » pour pouvoir l’arrêter. Mais Jésus, connaissant leurs intentions cachées, se dérobe à leur question et tente de continuer le dialogue avec eux – qui n’en est pas un, de fait ! – en demandant leur avis sur la parabole qu’Il va raconter.

            Dans sa parabole Jésus nous présente l’attitude opposée de deux frères, fils du même père, à sa demande d’aller travailler à la vigne. Le premier répond :  “Je ne veux pas” mais ensuite, s’étant repenti, il y va. Et le second répond tout de suite : “Oui !” mais il n’y va pas. Comme elles nous ressemblent, ces deux réponses ! On dirait même qu’elles peignent le portrait de nos vies familiales et communautaires ! On est parfois le premier frère, parfois le second …

            Ce sont les attitudes du cœur des publicains et prostituées – le premier frère – et celles des grands prêtres et des anciens – le deuxième frère – dont nous parle Jésus. Les premiers ont cette humble capacité de « re-venir » de l’intérieur sur leurs pas, sur leur refus “Je ne veux pas” et de changer d’attitude, de passer au « vrai oui », au don de soi par amour. Voilà le repentir, la conversion ! Les deuxièmes quant à eux, Jésus dans l’Évangile les appelle souvent hypocrites. J’ai aimé découvrir l’étymologie de ce mot « hypocrite » en coréen, qui vient comme beaucoup d’autres mots, de la langue chinoise, donc des caractères chinois. Le premier idéogramme du mot est celui qui signifie « mensonge » et le second signifie « bienfait » (faire le bien, être bon). Le mot hypocrite désigne donc celui qui fait un acte bon, non pas de son cœur sincère mais seulement pour être vu de l’extérieur. N’est-ce pas ce que Jésus tente de nous dire à travers cette si simple parabole ? Et toi, ton cœur, où est-il ?

            Puis Il leur demande : « Quel est votre avis ? Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Cette fois-ci les grands prêtres et les anciens lui répondent sans hésiter que c’est bien le premier des frères qui a fait la volonté du père en allant travailler à la vigne. Alors Jésus confirme leur réponse en disant : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »

            Je reviens à la question du début : Pourquoi Jésus nous adresse-t-il donc cette parabole à l’approche de Noël ? Une petite phrase tombée « par hasard » entre mes mains l’autre jour m’a mise sur la piste ! Elle disait ceci : « Le temps de l’Avent est celui de notre conversion au temps réel »[2]. « Conversion au temps réel », voilà l’appel à la conversion de l’Avent ! Cette petite phrase a illuminé pour moi le lien entre la parabole de Jésus et le temps si précieux de l’Avent.

            Lorsque nous vivons « hors de » la volonté de Dieu, « hors de » son désir pour nous, « hors du » don de soi, finalement « hors de » notre identité filiale et plongés dans nos fausses croyances, n’est-ce pas effectivement un « temps mort », irréel?  Or l’appel de l’Avent est de nous convertir, nous « re-tourner » vers le temps réel, celui de Dieu, celui de l’histoire de guérison et de communion qu’Il ne cesse de tisser entre Lui et chacun de nous. Il vient dans la chair, Il se fait homme « en tout semblable »à nous (Heb 2,17) pour travailler ensemble, Lui et nous, dans la même vigne, sa terre tant aimée. Nous convertir au temps réel, c’est croire ce que Dieu dit de moi, désire pour moi, aujourd’hui. La réalité, le temps réel, c’est qu’aujourd’hui Dieu m’attend comme enfant de lumière (Eph. 5,7), coopérateur (cf. 1 Cor 3,9) de son œuvre de salut dans le monde, dans les petits détails comme dans les choses importantes de cette journée !

            Le temps réel, c’est celui du Dieu qui vient, qui continue de naître dans notre monde dans la mesure où un cœur Le croit, Le reçoit, se repent, s’ouvre à Lui, accueille le Royaume dès maintenant. Dans la parabole que Jésus nous offre ce matin Il nous le dit à sa manière : « ce qui m’émeut, c’est la capacité du cœur des publicains et des prostituées de « re-venir ». Mais combien me peine un cœur qui se ferme, qui déguise son rejet en un « oui » dit du bout des lèvres parce qu’il se croit juste et refuse de se laisser justifier par Dieu seul. »

            Dix jours nous séparent de la Nativité.  Dix jours pour vivre dans « le temps réel » du Dieu qui vient, du Dieu qui, dans cette journée concrète, désire naître une nouvelle fois dans notre vie.

            « Béni soit ce nouveau jour qui est Noël pour la terre, puisqu’en moi, Jésus veut le vivre encore. »[3]

            Belle journée bien RÉELLE à chacun !

Laurence Vasseur


[1] Le temps de l’Avent est effectivement lui aussi un temps de conversion !

[2] Marguerite Léna, religieuse Xavière.

[3] Madeleine Delbrêl, Le nouveau jour, in La joie de croire.

« On a vu les jeux incroyables de la grâce … »

            « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. […]

            On a vu les jeux incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué… Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce.

            C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu’on nomme tels, et qui aiment à se nommer tels, n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale, constamment intacte, leur fait un cuir et une cuirasse sans faute.

            Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invincible arrière-anxiété, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché.

            Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies.

            C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa.

            C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé. »

Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne

in Œuvres en prose, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959.

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