Méditation : L’Église des égaré.e.s (No 72)

Image par Engin Akyurt de Pixabay

Évangile de l’Avent du Mardi 7 décembre (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Dieu ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu » Mt 18, 12-14

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quel est votre avis ? Si un homme possède cent brebis et que l’une d’entre elles s’égare, ne va-t-il pas laisser les 99 autres dans la montagne pour partir à la recherche de la brebis égarée ? Et, s’il arrive à la retrouver, amen, je vous le dis : il se réjouit pour elle plus que pour les 99 qui ne se sont pas égarées. Ainsi, votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu. »

Méditation

Égarée ! La brebis égarée ! Une parabole maintes fois lue et, pourtant, toujours aussi étrange. Quel homme censé laisserait 99 brebis seuls sur la montagne, avec tous les dangers qui s’y trouvent, pour aller en chercher une seule. Voyons voir…

Et quel est donc ce troupeau dont il est question ? Est-ce que le Corps du Christ ? l’Église catholique ? toutes les Églises ensemble ? ou est-ce le Corps de toute l’humanité ? Voyons voir…

Le texte laisse entendre que le Christ ressent quand une brebis s’égare. Mais est-elle hors du Corps du Christ ? La réponse me semble fascinante : elle n’est pas hors du Corps, car le Christ est avec elle. Plus encore, il se rend présent d’une manière très personnelle à elle, car il part à sa recherche.   Quand le Pape nous demande d’aller aux périphéries existentielles, en ces lieux intérieurs et extérieurs où l’humain se perd, le texte d’aujourd’hui nous laisse à penser, bien sûr, de s’y rendre au nom du Christ qui se fait prochain de toute brebis égarée mais tout autant, pour nous chrétiens, d’y découvrir le Christ déjà présent.

Nous avons trop souvent et, peut-être, trop longtemps pensé que nous y allions pour aider la personne mais peut-être le but tient-il plus encore à la croissance de notre propre foi.  Pendant des siècles, nous avons réfléchi qu’il y avait les chrétiens puis les païens, ou les brebis égarés.  Que nous étions dans la grâce ou que nous ne l’étions pas. Qu’il y avait les fidèles puis les infidèles. À ce sujet, Jeanne D’Arc n’a-t-elle pas offert une réponse inspirée aux inquisiteurs qui lui demandaient dans le but de la condamner : « Jeanne, croyez-vous être en état de grâce ? » Sa réponse fut magnifique : « Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir. » 

Le manichéisme des bons et des mauvais n’est-il pas encore bien empreint dans notre vie spirituelle ? Ne vivons-nous pas notre vie spirituelle comme si Dieu y est, si nous sommes bien gentils, et Dieu se retire si nous ne le sommes pas. L’histoire de la brebis égarée nous montre un Dieu en périphérie, pour ne pas dire un Dieu encore plus présent en périphérie.

Alors, il ne nous est plus possible de croire que le Corps du Christ est composé d’élus et qu’existe un en-dehors de ce Corps, car le Christ a embrassé toute vie humaine. La Croix est la croix des égarés et le samedi saint, dans la descente aux enfers, est le samedi saint des égarés. Et Jésus, dans l’Évangile de Jean, dit : « où je suis, là est mon serviteur » (Jn 12, 26).

Si nous ne visitons pas les périphéries intérieures de notre être égarée et si nous ne visitons pas les périphéries extérieures de nos frères et sœurs égarés, la joie de Dieu ne nous rejoindra pas. Cette joie est la découverte de sa Présence qui nous aime jusqu’aux confins de nos ténèbres, celles en nous et celles en l’autre.  Mais nous refuserons à Dieu cette joie si nous persévérons à considérer hors de nous ce qui était perdu en nous et en l’autre ou si nous laissons cette part perdue à l’abandon.  Tant que nous la laisserons à l’abandon, c’est non seulement cette part de nous-mêmes que nous perdrons, dans l’oubli et l’indifférence la plus totale, mais c’est Dieu même.

Si nous n’osons entrer dans nos morts respectives, nous ne trouverons pas la réponse à la grande énigme du mal, réponse que Dieu nous a laissée en son Fils, à savoir que Dieu est descendu au creux de nos tombeaux et s’y tient. La Vie en plénitude de Dieu habite nos cœurs égarés. Il s’agit simplement d’y entrer pour entrer dans la Vie et pour saisir que la mort et le mal n’ont aucune emprise sur nous. La mort est une sorte d’illusion d’optique que cherche à nous faire croire le mal. Mais, en réalité, il n’y a pas les élus d’un côté et les égarés de l’autre mais un seul Corps. Dans le Christ, il n’y a pas de périphérie, car son Amour embrasse tout.

Monter sur la montagne du troupeau ou descendre sur la terre des égarés, en tout Dieu s’y tient. Et la réponse de Jeanne D’Arc montre encore aujourd’hui sa justesse : « Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir. » 

N’acceptons pas qu’il y ait une part en nous ou une part en l’autre qui soit prise dans la distance de notre jugement, de notre suffisance ou de notre pharisaïsme, et, pour l’empêcher, redécouvrons seulement la Présence de ce Dieu qui s’y tient pour nous offrir la plénitude de sa Vie.  Tant que nous demeurerons une Église qui aura la prétention des inquisiteurs de détenir la Vérité et de poser en jugement tant de personnes hors de cette Vérité, nous oublierons que nous sommes tous pécheurs et, donc, tous des égarés. Nous avons, au nom de la Vérité de Dieu, condamné les égarés, ce faisant, nous nous sommes jugés nous-mêmes. En fait cette Vérité, nous dit la parabole d’aujourd’hui, nous demande de la trouver tant sur la montagne que sur la terre des égarés, car les deux sont présentes en nous comme Dieu est présent en chacun.e. Nous ne sommes pas une Église de parfaits mais d’égarés et cette Église embrasse toute l’humanité, si bien que la Grande et Belle Nouvelle de notre salut est d’apprendre à trouver Dieu en toutes et tous ! Mais le départ demande toujours de trouver pour nous-mêmes Dieu dans nos propres égarements et d’y découvrir son Amour qui, sans cesse, nous poursuit !

Redevenons cette Église des égarés, celle de toute cette humanité souffrante, car « où je suis, là est mon serviteur » et « là où il y a un humain, je (Christ) me tiens ».

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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