Méditation : Le tintamarre de la peur ou le silence de l’Amour (No 52)

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Évangile du Mercredi 17 novembre (tiré du Prions en Église et pour les personnes qui voudraient s’abonner au Prions)

« Pourquoi n’as-tu pas mis mon argent à la banque ? » Lc 19, 11-28

En ce temps-là, comme on l’écoutait, Jésus ajouta une parabole : il était près de Jérusalem et ses auditeurs pensaient que le royaume de Dieu allait se manifester à l’instant même. Voici donc ce qu’il dit : « Un homme de la noblesse partit dans un pays lointain pour se faire donner la royauté et revenir ensuite. Il appela dix de ses serviteurs, et remit à chacun une somme de la valeur d’une mine ; puis il leur dit : “Pendant mon voyage, faites de bonnes affaires.” Mais ses concitoyens le détestaient, et ils envoyèrent derrière lui une délégation chargée de dire : “Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous.”
Quand il fut de retour après avoir reçu la royauté, il fit convoquer les serviteurs auxquels il avait remis l’argent, afin de savoir ce que leurs affaires avaient rapporté. Le premier se présenta et dit : “Seigneur, la somme que tu m’avais remise a été multipliée par dix.” Le roi lui déclara : “Très bien, bon serviteur ! Puisque tu as été fidèle en si peu de chose, reçois l’autorité sur dix villes.” Le second vint dire : “La somme que tu m’avais remise, Seigneur, a été multipliée par cinq.” À celui-là encore, le roi dit : “Toi, de même, sois à la tête de cinq villes.” Le dernier vint dire : “Seigneur, voici la somme que tu m’avais remise ; je l’ai gardée enveloppée dans un linge. En effet, j’avais peur de toi, car tu es un homme exigeant, tu retires ce que tu n’as pas mis en dépôt, tu moissonnes ce que tu n’as pas semé.” Le roi lui déclara : “Je vais te juger sur tes paroles, serviteur mauvais : tu savais que je suis un homme exigeant, que je retire ce que je n’ai pas mis en dépôt, que je moissonne ce que je n’ai pas semé ; alors pourquoi n’as-tu pas mis mon argent à la banque ? À mon arrivée, je l’aurais repris avec les intérêts.” Et le roi dit à ceux qui étaient là : “Retirez-lui cette somme et donnez-la à celui qui a dix fois plus.” On lui dit : “Seigneur, il a dix fois plus ! – Je vous le déclare : on donnera à celui qui a ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi.” »
Après avoir ainsi parlé, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem.

Méditation

Le texte s’inscrit dans la perspective du Jour de l’Homme :  » il était près de Jérusalem et ses auditeurs pensaient que le royaume de Dieu allait se manifester à l’instant même « . Et la parabole qui est racontée annonce ce que Jésus va vivre prochainement : après sa mort et sa résurrection, il retournera vers le Père et,  » après avoir reçu la royauté « , reviendra.

La question qu’il pose à chacun.e dans ce passage est celle de notre fécondité. Qu’avons-nous fait de la mine qui nous a été donnée ? Ou, dit autrement : Qu’avons-nous fait de notre vie offerte gratuitement par Dieu ou de notre identité filiale unique ? Dans quelle mesure avons-nous été cocréateurs avec Lui et avons-nous fructifier tout ce qui nous a été donné ? Le texte évangélique nous éclaire sur ce qui nous empêche de consentir au don que nous portons et de le multiplier.

La première raison invoquée est la haine :  » Mais ses concitoyens le détestaient « . Et le fondement de cette haine est le refus :  » Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous.  » De telles pensées placent l’être humain dans une contradiction intérieure profonde à l’égard de qui il est. Si Dieu est Amour, si de toute éternité Il a voulu partager cet Amour avec l’humain et si l’humain a été engendré et « façonné » pour cet Amour, toute haine est, à sa racine, un refus de l’A(a)utre tout autant que de nous-mêmes.

Dans une telle position intérieure, la mine reçue ou, comme nous l’avons dit, l’identité reçue de Dieu ne peut être que refusée… et ce refus va jusqu’à la haine de nous-même, d’être ce fils ou cette fille de Dieu, d’être cet humain constitutivement fait pour Dieu. Ce que cela provoque en nous est la peur, comme nous le révèle ce troisième serviteur dans ce passage :  » j’avais peur de toi « . La naissance de cette peur est tout à fait logique, même si la peur elle-même est irrationnelle, car quel rempart intérieur reste-t-il à un humain quand, refusant Dieu, il se refuse lui-même ? Sans ce roc identitaire en Dieu, nous sommes une maison fondée sur le sable. Tout devient menace et peur intérieur à notre écroulement complet. N’est-ce pas ce que nous constatons au coeur de cette pandémie ? Tant d’hommes et de femmes s’écroulent intérieurement… au point que la peur et la haine sont leur seule demeure et leur seule voie de salut. Tuons l’A(a)utre qui existe vraiment pour ne pas sentir la déroute intérieure de notre être.

Dans un tel état intérieur, la personne est incapable de reconnaître sa propre faute et voir la racine de sa haine, car, sans l’horizon de Dieu en elle, tout est dans l’ombre. Ne demeure que le sentiment profond d’une peur qui, à chaque instant, risque de la submerger et l’engloutir… avec toute la mort qu’elle porte. Il est alors plus facile de projeter sur l’A(a)utre sa haine que d’oser se regarder. Une sorte de folie s’empare d’elle, car la peur s’insinue en tout : peur d’elle-même, peur des autres et peur de Dieu.

Dans un tel état, nous vivons dans le refus du don de Vie que Dieu nous fait à nous-mêmes et, ce faisant, nous pensons que « tu (Dieu) retires ce que tu n’as pas mis en dépôt « . Il nous est tout autant difficile d’accueillir que, à chaque instant de notre existence, Dieu assure notre croissance, car nous pensons, là aussi qu’Il « moissonne ce que (Il n’a) pas semé ». Nous sortons, ainsi, de la Loi de la Vie et de l’Amour : « Je vous le déclare : on donnera à celui qui a. » De fait, l’homme ou la femme qui accueille avec gratitude le don unique de son identité filiale, son don plein de la Vie de Dieu, et accepte de cocréer avec Dieu sa propre vie, à cette personne Dieu ne cessera de donner, si bien qu’il portera beaucoup de fruits.

« Mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. » Ce choix n’est pas celui de Dieu mais celui de l’humain qui ne veut pas que Dieu règne sur lui. Face à une telle personne, Dieu se voit empêché de répandre l’abondance de ses grâces sur elle.

En nous, il y a deux sentiments ou émotions qui se font bataille : l’Amour par qui la Vie se déploie et la peur par laquelle tout s’éteint. Dans l’Amour, tout ce qui humain fleurit. Dans la peur, le mal nous ronge jusqu’à l’oubli ou l’effacement de nous, des autres et de Dieu. Et tout l’enjeu de cette bataille entre l’Amour et la peur rappelle le récit de Zachée qui précède ce texte et auquel le début du passage d’aujourd’hui nous reconduit (« comme les gens écoutaient cela » (traduction de la bible de Jérusalem), cela étant l’histoire de Zachée) : « Car le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ».

Nous laisserons-nous sauver par l’Amour ou resterons-nous dans notre refus jusqu’à la perte de nous-même et de Dieu ? Préférerons-nous la peur et sa mort à l’Amour et la Vie ?

Entrons dans le silence de l’Amour et quittons les bruits assourdissants de la peur et de la haine !

Stéfan Thériault (stheriault@lepelerin.org)

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